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34E DIMANCHE TEMPS ORDINAIRE - Christ Roi | P. Sébastien Dehorter | 22/11/2020



Toutes les pages de l’évangile sont importantes, mais celle que nous venons d’entendre est peut-être particulièrement décisive. Sur elle, de nombreux saints (je pense à St Vincent de Paul) ont misé toute leur vie : ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.

En même temps, c’est une page pleine d’énigmes. Lorsque nous la méditons avec en mémoire les évangiles des deux derniers dimanches (la parabole des dix vierges et celle des talents), plusieurs thèmes émergent assez nettement.

Tout d’abord, et je sais que cela nous dérange souvent, il est question d’un jugement. Ici, d’une séparation des hommes les uns des autres comme un berger sépare les brebis des boucs. Dans la parabole des dix vierges, il y avait cette porte qui se fermait laissant les retardataires à l’extérieur. Et dans celle des talents, la sentence : quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures. Cela nous dit au moins une chose : notre vie présente a des conséquences futures, voire éternelles. En réalité, c’est plutôt une bonne nouvelle : cela signifie que Dieu nous prend au sérieux, que la vie ici-bas n’est pas un simple jeu pour passer le temps au terme duquel les efforts qui ont pu être posés par les uns ou les autres n’auraient aucune importance. L’éternité, c’est maintenant.

Ensuite, dans chacun des trois textes, le jugement négatif semble porter sur un manque : l’huile que les vierges sottes n’ont pas prise avec elle ; le fait que le 3ème serviteur n’a rien fait avec son talent, pas même le déposer chez les banquiers ; l’inaction des hommes face à ce Roi, fils de l’homme, qui dit avoir eu faim, soif, être étranger, nu, malade ou en prison. On pourrait se demander finalement si l’omission n’est pas plus grave que le péché, au sens que le 3ème serviteur n’a rien fait de mal - il rend intégralement le talent à son maître – ou encore qu’aucune immoralité n’est reprochée aux hommes placés à la gauche du Roi : ni meurtre, ni vol, ni adultère, ni aucune sorte d’injustice, mais le fait de ne pas s’être mis au service de ces petits qui sont les frères du Roi-Berger.

Pour essayer de comprendre ce dernier point, remarquons encore que la question de la connaissance ou de la reconnaissance est présente dans chacun de ces évangiles. Ainsi, l’époux dira aux vierges folles : amen, je vous le dis, je ne vous connais pas. Dans la parabole des talents, ce thème est au cœur du dialogue avec le maître. Tandis que le troisième serviteur explique : j’ai appris que tu étais un homme dur, que tu récoltes ou tu n’as pas semé… alors j’ai eu peur, etc., le maître répondra : tu savais que je récolte où je n’ai pas semé… Il fallait placer mon argent chez les banquiers. Et aujourd’hui, c’est encore plus frappant car tous, ceux de droite comme ceux de gauche, répondent : quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim, soif, etc. - ce verbe « voir » pouvant également signifier « connaître » ou « reconnaître ». Tous sont donc plongés dans l’inconnaissance !


Agir sans calcul

Lorsque nous mettons tout cela ensemble, un thème émerge progressivement : celui de la foi comme un agir sans calcul, c’est-à-dire de la foi mise en œuvre par la charité plus encore que par la certitude, les prévisions ou les visions d’avenir – toutes choses dont certains sont tellement friands en ces temps troublés. Car nous voyons bien qu’en réalité, et fort heureusement, l’évangile de ce dimanche n’est en aucun cas opératoire pour prédire ou calculer notre propre salut. Car chacun de nous a, un jour ou l’autre, donné à manger à quelqu’un qui avait faim, de même qu’il a omis également de le faire. Serons-nous placés à droite ou à gauche ? Et rien n’indique non plus qu’il s’agira d’une comptabilité entre le nombre de fois où l’on aura agi et le nombre de fois où l’on aura omis de le faire. Non, le jugement, la révélation de notre vie, appartient au Fils de l’homme.

Vous savez bien que le XXe siècle aura été le siècle des idéologies. Au nom de grands principes, de plans magnifiques, de révolutions qui allaient changer la face de la terre, on n’a jamais tué ou déshumanisé autant de personnes. À l’inverse, en ce début du XXIe siècle, nous voyons souvent apparaître la mentalité du complot. Alors que les individus n’ont jamais eu accès à autant de données, mais face au constat amer que la situation du monde ne s’améliore pas, l’attitude commune est d’accuser les autres de nous cacher encore quelque chose. Comme les brebis d’Ezéchiel, nous traversons des jours de nuages et de sombres nuées. Et la tentation, nous le savons, est de devenir cynique, de ne plus croire en l’homme, de nous replier sur nous-mêmes, de baisser les bras. Eh bien, il me semble au contraire que les évangiles de ces dernières semaines ont cherché à raviver une petite flamme pour la placer à côté de chacun.

  • Premièrement, vivons notre vie dans la perspective de la venue du Seigneur. C’est sa manière à lui de régner : non pas en imposant sa présence mais en suscitant et en entretenant le désir de le voir.

  • Deuxièmement, recevons chacun des dons de Dieu comme des semences appelées à porter du fruit. Un agriculteur me disait hier qu’il avait fini de semer le froment car la terre était relativement sèche, « amoureuse » disait-il et non pas grasse, gorgée d’eau ce qui ne favoriserait pas la germination. Soyons donc des « terres amoureuses », des terres qui se laissent féconder. Il y a là une loi de la vie qui n’est pas un grand calcul mais qui est peut-être l’équation même de la vie : vivre véritablement c’est donner la vie sous une forme ou sous une autre.

  • Enfin, nous savons désormais, nous, qu’IL est présent en chacun de ces petits. Osons agir sans calcul mais en comprenant que la clé ultime de l’histoire c’est le principe personnaliste, celui d’un visage à la rencontre d’un autre visage. À ceux qui ont faim ou soif, donner à manger ; ceux qui sont bafoués dans leur dignité, étrangers ou nus, les accueillir et les entourer ; pour ceux enfin dont la liberté est réduite, car affaiblis ou prisonniers, il n’est pas demander de les guérir ou de les libérer mais de les visiter, d’aller vers eux. Car c’est en cela que consiste le salut, la vraie libération : non pas un combat d’idées, mais la reconnaissance du frère et l’accueil de sa présence.

Que ces quelques indications nous donnent d’entrer dans la joie du maître. Bonne fête !

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