Voilà cinq semaines que je suis votre curé, un peu plus de deux ans que je suis parmi vous. Peut-être avez-vous perçu qu’il n’est pas dans mes habitudes de me laisser emporter par la mode ou de répéter ce que tout le monde dit. Si quelquefois les bruits de l’actualité veulent résonner dans la liturgie, j’estime que ce n’est pas très juste. C’est le contraire qui doit se produire : c’est la paix de la liturgie qui doit irradier le monde.
Aujourd’hui, je vais faire une exception en vous parlant de l’épidémie qui nous frappe. Pourquoi ? Parce qu’elle commence à durer. Nous savons déjà qu’elle peut atteindre nos vies ; nous commençons à voir qu’elle entame notre patience. Sans compter qu’avec tout ce qui est dit à ce sujet, les têtes tournent ; les esprits perdent leur bon sens et nous voilà encore atteints dans ce don que Dieu nous a fait : notre capacité de discerner le bien du mal, la vérité de l’erreur.
Bref, l’épidémie a une incidence spirituelle ; et celle-ci dépasse le fait que la liberté religieuse s’est restreinte. Cette idée m’est venue le 27 mars dernier, lors de la veillée de prière présidée par le pape François. Il s’était adressé au monde devant une place Saint-Pierre vide…
C’était alors l’hécatombe dans les hôpitaux italiens ; c’était l’heure des choix impossibles entre les patients que l’on allait tenter de sauver et ceux qu’on laisserait à eux-mêmes. Comment ne pas penser à cette atmosphère d’apocalypse, à la détresse des derniers temps, à ces fléaux dont parle Jésus qui s’abattent sur tous les hommes et les plongent dans la confusion, fléaux qui mettent aussi la foi des croyants à l’épreuve ?
Quel est le message du Seigneur ? Je remarque que lorsqu’il évoque ces fléaux, Jésus en parle sans être ébranlé. Il appelle simplement ses disciples à tenir bon : c’est l’heure de la persévérance des saints. « Vous avez foi en moi, dirait le Seigneur, alors pourquoi avez-vous peur ? Attentez que je me lève et vienne vers vous. »
Oui ! C’est l’heure où l’Esprit s’unit à l’Épouse (l’Église) pour dire : « Amen. Viens, Seigneur Jésus ! »
Je sais bien que les circonstances pèsent sur les activité habituelles de l’Église et singulièrement sur notre paroisse. Elles mènent à des contradictions : Est-il évangélique de célébrer la messe portes fermées ? Est-il évangélique d’être négligeant et ainsi de favoriser la propagation de la maladie ?
Nous sommes devant une croix ; et c’est un problème que beaucoup ont souligné. Le système actuel a des inconvénients. On peut se consoler en se disant qu’il est le moins mauvais. Mais qu’on s’interdise cependant de s’en satisfaire ! Il est une impasse, une épine dans notre pied, un caillou dans la chaussure. Et même si on ne peut pas faire un pas sans le sentir, il faut malgré tout continuer à marcher.
Frères, je sais aussi encore une autre chose. Quand tout est compliqué, quand, pour reprendre l’expression du pape François, la nuit tombe sur le monde, il est bon de revenir à nos fondamentaux : non pas à nos goûts personnels, à une dévotion particulière, mais bien à nos fondamentaux, aux inspirations de nos pères dans la foi.
La première de ces inspirations, c’est la prière. Que de fois les Actes des Apôtres témoignent de ce que les premier frères se réunissaient pour la prière commune. Ils avaient une conscience aiguë de la puissance de l’intercession. c’était en particulier la cas lors de l’arrestation de Pierre (Ac 12) : « Pierre était en prison, mais la prière ardente de l’Église montait sans relâche vers Dieu à son intention ». Quelques années plus tard, saint Ignace d’Antioche écrit aux Éphésiens : « Si la prière de deux personnes ensemble a une telle force, combien plus celle de l’évêque et de toute son Église. »
La deuxième inspiration, c’est la conversion personnelle. À vrai dire, c’est le B-A-BA de l’Evangile. Jésus a inauguré sa prédication par ces mots : « Convertissez-vous, le Royaume de Dieu est tout proche ». Sans la conversion personnelle, sans la décision d’amender sa vie, on en reste à une conception magique de la prière. C’est encore, comme le dit Jésus, le rabâchage des païens. L’Église le rappelle d’ailleurs à tous ceux qui vont en pèlerinage pour collectionner les jours d’indulgence : « Tu peux passer par toutes les portes saintes des cathédrales, si tu ne veux pas changer ton coeur, il vaut mieux rester chez toi ».
C’est dans ce but que le Saint-Sacrement sera exposé dans l’église cet après-midi et qu’il vous sera possible de vous confesser. Il s’agira de mettre en pratique ces deux inspirations : le fait de prier ensemble et la volonté de se convertir.
Je ne voudrais pas passer à côté d’une troisième inspiration : l’amour du prochain, cette charité qui, aux dires de Pierre, couvre une multitude de péchés. Cette épidémie nous donne l’occasion de la pratiquer en posant des gestes tout simples ! Se laver les mains - comme nous le faisons en entrant dans l’église - et porter un masque pendant la messe n’ont pas d’autre objectif que de protéger les autres, de se soucier de leur intégrité physique, c’est-à-dire de les aimer. Par conséquent, ne pas le porter, c’est être en contradiction avec l’eucharistie que nous célébrons.
C’est vrai, porter un masque est astreignant et n’est pas très agréable. Mais tous ceux qui, avant nous, ont voulu plaire au Seigneur ont su très vite que pratiquer la charité fraternelle demande une vigilance de tous les instants.
Voilà, frères, j’ai été plus long que d’habitude. Je terminerai avec ce mot que disait le Cardinal Danneels quand il prenait congé de quelqu’un : « Courage »
Oui ! Courage et tenez bon. Le temps nous met certes à rude épreuve ! Mais seul le temps nous permet de devenir meilleurs. Cette attention et cette vigilance nous coûtent maintenant, mais elles deviendront une saine habitude. Et il nous sera alors plus facile d’aimer notre prochain.
Comments