Dans quelques heures, notre diocèse aura un nouvel évêque. L’événement est rare ; il nous ramène aussi aux premiers temps de l’Église, à ce moment où les apôtres avaient le souci de transmettre leur charge à la première génération d’évêques par la prière et l’imposition des mains. Au cours des siècles, le rite s’est développé. Et parmi ses différents éléments, il y a la remise d’un anneau, signe de l’union de l’évêque à son diocèse, comme l’époux à sa femme, comme également le Christ à l’Église. Si saint Paul était ici, il dirait qu’il s’agit là d’un grand mystère (Ep 5,32).
Oui, frères et sœurs, il est grand le mystère du Christ ; il est grand le mystère de son épouse, l’Église. Grand dans le plan de Dieu tout d’abord, car le monde a été créé en vue de l’Église (Hermas, vis 2,4,1). Grand à cause de la place de l’Église au milieu des hommes. Non que l’Église veuille s’élever au-dessus du commun des mortels, mais à cause de sa mission, c’est-àdire du but en vue duquel le Christ l’a fondée.
Le concile Vatican II nous donne une indication. L’Église, déclare-t-il, est, dans le Christ, le signe et le moyen de notre union avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain (Lumen Gentium 1). De cette définition un peu sèche, j’en conviens, retenons simplement que l’Église n’est pas pour elle-même ; elle n’est pas un club fermé pour des personnes aux mœurs policées. Non ! Elle est d’abord pour Dieu ; elle regarde Dieu ; elle veut élever les hommes vers Dieu ; les rendre participants de la vie divine. Et, parce qu’elle possède l’énergie pour les élever vers Dieu, elle offre de quoi faire l’unité de l’humanité. Cette énergie qui élève, c’est l’« agapè », la charité, l’amour qui a réussi à vaincre l’égoïsme. Cette énergie qui élève est véritablement ferment d’unité pour la multitude.
Vatican II, en fait, n’a rien inventé. Il a simplement exprimé ce qui appartient à la conscience chrétienne depuis le commencement de l’Église, à savoir que celle-ci ne pouvait rester enfermée dans les murs du Cénacle, qu’elle ne pouvait demeurer enclose sur elle-même. Être missionnaire, comme on le dit, cela appartient à son ADN, à son être. Ce n’est pas le réflexe d’une institution qui se saurait en voie d’extinction et qui ne sait plus comment attirer le chaland !
Pour mieux cerner le fait que la mission appartient à l’être de l’Église — et surtout comment elle vit cette dimension — retournons à ses commencements, à l’époque de sa plus rapide expansion : son premier siècle de pèlerinage parmi les hommes. Il y avait bien sûr, à ce moment-là, des missionnaires, un peu à l’image de ceux qui nous avons vu partir de cher nous au XIXe et XXe siècle pour annoncer l’Évangile en Amérique, en Afrique et en Asie. Je pense en premier aux Apôtres, mais aussi à saint Paul, et à d’autres dont les noms sont tombés dans l’oubli… Ces missionnaires constituaient, par leur nombre, une très petite minorité parmi la masse des fidèles. Cependant, les témoins de cette époque disaient que les chrétiens se multipliaient par contagion, un peu comme une épidémie. Pourquoi une telle contagion ? Parce que les premières communautés chrétiennes étaient des signes visibles et clairs pour être des moyens efficaces de l’annonce de la Bonne nouvelle. Pour le dire autrement, ils brillaient par l’excellence de leur vie morale et de de leur vie fraternelle. Ils étonnaient à cause de ceci : les chrétiens partagent la même table, mais non point la même couche (Lettre à Diognète). La table évoque la fraternité ; la couche, la pureté de la vie morale. Et l’Église des premiers temps était si consciente de l’enjeu de cette vie fraternelle qu’un ministère fut institué pour l’organiser : le diaconat.
Je voudrais terminer ces mots en vous disant ceci. J’ai parlé de la dimension missionnaire de l’Église. Ne pensez cependant pas que, si vous ne sentez pas avoir le charisme de vous mettre sur la grand-place de Louvain-la-Neuve pour appeler les foules à la conversion, la mission et le témoignage ne seraient pas pour vous. À quoi bon d’ailleurs évangéliser — annoncer la Bonne Nouvelle à ceux qui ne la connaissent pas — si la vie fraternelle fait défaut ? L’évangélisation commence par cela : la fraternité. Laissez-moi vous donner un conseil pour développer un esprit fraternel. Il y a sans doute une place occupée à côté de vous. Posez un regard de foi sur la personne qui y est assise : c’est un frère, une sœur pour lequel le Christ est mort. Votre fraternité commence par ne pas être indifférent à son égard. Il y a aussi une place vide… Sachez que le Seigneur a déjà en tête d’y mettre quelqu’un. Le jour venu où cette place sera occupée, faites bon accueil à celui ou celle qui s’y mettra ; ne soyez pas avare de votre bonté.
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