Pour les moines, la nuit est sacrée. Et nous connaissons le proverbe : « la nuit porte conseil ». Alors, songeons à nos veilles, à ces moments d’insomnie où nous mettons de l’ordre dans nos souvenirs, où nous cherchons une unité, une intelligence dans la multitude des événements qui nous ont secoués pendant la journée. Cette nuit, nous recueillerons les textes de la liturgie pour découvrir leur cohérence, leur mystère et leur puissance. Partons de ce passage que nous avons entendu au début du carême - le séjour du Seigneur après son baptême -, poursuivons par ce texte qui inaugure notre veillée - le création en six jours - et terminons pas la prophétie d’Ézéchiel : le don d’un cœur nouveau.
Qu’y a-t-il de commun entre eux ? Ils partagent quelque chose d’étrange. Ils nous parlent d’événements qui n’ont pas eu de témoins. Le Christ, en effet, s’est rendu seul au désert pour être tenté. Quant à la création, on peut se demander qui a pu l’observer. Enfin, s’agissant du cœur nouveau, qui peut bien rendre compte des progrès irréversibles que la grâce lui fait faire ? De ce que ces événements n’aient pas eu de témoins, il ne faut pas en déduire trop simplement qu’il s’agit de fables.
L’Écriture parle toujours de l’histoire réelle, si étonnant que cela puisse paraître à notre mentalité. Elle nous parle d’événements qui n’ont pas eu de témoins parce que ces événements sont le fait de Dieu seul et de sa Puissance. Pour le dire autrement - d’une façon peut-être trop ramassée - l’Écriture, c’est l’histoire vue par les anges ; c’est l’histoire considérée d’un point de vue plus large et plus élevé que celui de l’historien ; c’est l’histoire perçue comme le lieu où Dieu agit puissamment et de façon décisive, où Dieu agit, laissant Job bouche bée.
C’est ce qui nous apparaît maintenant, alors que nous restons éveillés et que nous remémorons les hauts faits de Dieu. Laissez-moi être direct : que le caractère sacré de cette nuit fasse sortir l’intelligence humaine de son tombeau ! Cette nuit, en effet, nous met devant un dernier événement qui n’a pas eu de témoin : la résurrection de notre Seigneur. Ce qui s’est passé dans le tombeau nous échappe matériellement - la pierre le ferme au regard des hommes -, mais, par la nature même des choses, la résurrection ne saurait avoir de témoin. Tout le Nouveau Testament nous rappelle que la résurrection est une œuvre de la puissance de Dieu.
Saint Paul l’écrit aux Romains : « le Christ est ressuscité par la gloire (c’est-à-dire par la toute-puissance) du Père » (Rm 6,4) ; et aux Corinthiens : « Jésus a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu » (2 Co 13,4). C’est pourquoi, œuvre de la puissance de Dieu, la résurrection n’a été vue que par les anges. Ce sont eux qui apparaissent aux femmes en vêtements éblouissants. Ils annoncent : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. » Il y a quelques semaines, le congrès mission nous encourageait à témoigner de notre foi. Mais, si on nous demande de rendre compte de la vérité de notre espérance, allons-nous dire que sur ce point nous nous appuyons sur les anges ?
L’argument est faible aux yeux des hommes. C’est que nos contemporains, en posant un regard dominateur sur le monde et sur l’histoire, veulent acquérir des connaissances certaines. Ils utilisent pour cela leurs sens et une méthode qui permet la vérification de ses résultats. À côté d’eux, l’homme de foi a l’impression de combattre sans cesse le doute. Il aimerait vaincre celui-ci en roulant lui-même la pierre qui ferme le tombeau. Il espère ainsi être débarrassé de ses complexes face à l’incroyant. Si inconfortable qu’est la situation de l’homme de foi, il n’est pas certain qu’à la longue cet inconfort demeure. N’oublions pas cette parole de Jésus à l’adresse des Sadducéens : « Vous êtes grandement dans l’erreur en ne connaissant ni l’Écriture ni la puissance de Dieu ». Et l’erreur portait justement sur la résurrection. Oui ! La foi est vouée à grandir. Elle s’affermit non par des éléments de preuve vérifiables, mais par des connexions que l’esprit établit entre les œuvres de la puissance de Dieu.
Que la grâce et le conseil que nous apporte cette nuit nous aident à percevoir l’unité du « dessein bienveillant de Dieu ». Qu’ils nous apportent encore cette conviction que ces faits dont nous parle l’Écriture ne sont pas sans rapport avec nous - et c’est là une grande différence avec la connaissance objective fournie par nos sens ! Au contraire, le séjour du Christ au désert, la création du monde en six jours, la prophétie d’Ézéchiel sur le renouvellement de notre cœur et enfin la résurrection de notre Seigneur sont là pour nous élever au-dessus de nous-mêmes, pour que nous vivions de la vie même du Ressuscité : une vie selon la puissance de Dieu, une vie où la mort n’a pas le dernier mot : « Certes, dit Paul, le Christ a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu. Et nous aussi, nous sommes faibles en lui, mais nous vivrons avec lui par la puissance de Dieu ». Que nos contemporains, en nous voyant vivre, parler, rayonner, soient aussi gagnés par cette même puissance ! Qu’ils se réjouissent en elle !
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