La prédication de Jésus est tout absorbée par un seul sujet : l’annonce du règne de Dieu. Le Seigneur est venu pour cela : manifester la proximité du royaume. C’est pourquoi Jésus s’est mis à proclamer cette bonne nouvelle sans demander l’avis de personne…
Aujourd’hui, c’est un peu différent. Le sujet qu’aborde le passage que nous avons entendu est celui de la prière. Jésus parle de celle-ci à la demande de ses disciples. Manifestement, ils savaient que c’était un thème de l’enseignement de Jean-Baptiste et des autres rabbins. Cela leur brûlait d’interroger le Maître sur cette question. Ils ont eu l’audace de la lui poser certainement en voyant Jésus prier, impressionnés qu’ils étaient par son attitude et par l’intensité de sa prière. Alors, qu’est-ce que prier ?
D’après Saint-Thomas d’Aquin, la prière est toujours une demande : une demande pour soi (« mon ami donne-moi trois pains ») ou une demande pour quelqu’un d’autre (nous en avons un exemple dans l’intercession d’Abraham en faveur des habitants de Sodome). Ajoutons encore ceci : la prière chrétienne repose également sur la foi en la justice et en la bonté de Dieu. En la bonté : « si donc vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demande ». Nous le voyons l’Esprit est donné en raison de la bonté même de Dieu. Quant à la justice, elle apparaît lorsque Abraham intercède pour Sodome. Il ne conteste pas que Dieu ait le droit de déverser sa colère sur les pêcheurs, mais sa prière touche une corde sensible : Dieu, en raison de sa justice, ne peut pas en faisant périr le pêcheur balayer aussi le juste. Il y aurait la une contradiction !
Et c’est ainsi que Abraham parvient à faire changer Dieu d’avis… Nous pouvons tirer cette conclusion à propos de la prière chrétienne : celle-ci n’a rien d’hasardeux ; elle n’a rien à voir avec la probabilité. Elle n’est pas l’arme que l’on sort après avoir fait tout ce qu’on peut pour tenter finalement de faire pencher la balance de notre côté. En s’appuyant sur la foi, la prière atteint toujours son but ; le triomphe du cœur de Dieu. Tout cela est beau. Mais l’un de vous me dira peut-être : j’ai prié pour cette maman de trois enfants et elle n’a pas survécu à sa maladie. Où est alors le problème ? Y aurait-il un défaut dans ma foi ? Un manque de justice en Dieu ou un péché caché quelque part ? N’ai-je pas frappé assez fort ou assez longtemps à la porte du bon Dieu ? Que répondre à cela ?
On peut être tenté de s’en tirer en disant qu’il y a toujours un fruit invisible à la prière. Mais la réponse est un peu facile. Reconnaissons que nous sommes là devant une vraie difficulté qui n’est pas seulement celle de la prière, mais aussi celle de la présence mystérieuse du mal, de la souffrance et de la mort dans ce monde. Mais que dire ? Parce qu’il faut bien dire quelque chose ! En s’inspirant de l’Écriture, on peut dire ceci : à condition de considérer que Dieu est juste et bon, on peut tout lui dire ! Regardons l’attitude de notre Seigneur : saint Pierre, dans sa première épître, dit qu’accablé d’insultes, Jésus ne répondait pas, mais il s’en remettait à celui qui juge avec justice. Et pourtant, c’est ce même Jésus qui, crucifié, dira : « mon Dieu mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
C’est pourquoi nous avons le droit, nous aussi, de dire à Dieu notre dégoût, notre incompréhension, notre amertume, notre consternation, notre détresse, notre désespoir et même notre colère. Nous pouvons le dire sans gant et sans rien cacher de nos sentiments. Ce sont certainement des paroles qui n’ont rien de sublime ! Mais, remarquez-le, même en disant cela, nous parlons encore à Dieu. On a pas encore brisé la relation. Et de plus, nous manifestons une sincérité que nous n’aurions pas vis-à-vis d’autres personnes que Dieu. Ce fut l’expérience de Job. Lui aussi croyait en la justice de Dieu : « sorti du ventre de ma mère, nu j’y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté, que le nom du seigneur soit béni. » Et après avoir dit cela, il déverse toute l’amertume de son cœur. Néanmoins, l’Esprit saint ne le quitte pas. Il le conduit finalement à la découverte d’un Dieu plus large que les raisonnements humains, plus large encore que ses vues d’autrefois.
Je vous ai dit tout à l’heure que la prière est au fond toujours une demande. Dans l’Évangile, Jésus nous assure que le Père est prêt à nous donner son Esprit quand nous le lui demandons. À vrai dire, c’est bien cela que le Père puisse nous donner en toute justice et en toute bonté. Car Dieu n’a rien à donner que lui-même. Et cet Esprit, il nous le donne immédiatement lorsque nous l’en prions. Sur ce point, Jésus nous assure que Dieu a prévenu notre demande. L’Esprit nous est donné avant même que nous l’ayons demandé ! Alors ce matin, soyons audacieux. Faisons notre cette prière du prophète Élise : Donne-nous, Seigneur, une double part de ton Esprit.
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