Frères et sœurs, je ferai souvent appel à vos souvenirs ce matin. Rappelez-vous tout d’abord que dimanche dernier Jésus avait multiplié du pain pour une foule de cinq mille hommes. Ces gens connaissaient les traditions des rabbins : le temps du Messie, enseignaient-ils, serait caractérisé par le renouvellement quotidien du miracle de la manne. La foule avait vu ce renouvellement dans la multiplication des cinq pains d’orge. C’est pourquoi elle avait voulu s’emparer de Jésus pour faire de lui son roi. Je vous avais dit encore qu’en échappant à l’emprise de la foule, Jésus cherchait à faire grandir en elle la faim du salut.
Comment le seigneur s’y prend-t-il pour creuser cette faim ? Il part de ce que la foule connaît : la manne. Il en montre les limites ; il montre aussi que Dieu, en faisant autrefois le don de la manne, avait en tête un don meilleur à offrir. Autrefois, la manne avait nourri le peuple pendant cette période de quarante ans entre la sortie d’Égypte et l’entrée dans la terre de Canaan. Cette manne avait été indispensable. Sans elle, le projet de Dieu ne se serait pas réalisé, mais elle était aussi le signe d’autre chose. Comment le voir ?
Tout d’abord le nom de « manne » — en hébreu « Mann hou? », qui signifie « qu’est-ce que c’est ? » — n’est strictement le nom d’une chose ; c’est un nom qui est à vrai dire une question… une question qui est sans réponse, une réponse que l’on attend encore et qu’on espère pour plus tard.
Ensuite, la manne avait une origine mystérieuse. C’était un « pain venu du ciel ». Mais curieusement, bien qu’elle vînt du ciel, elle n’avait pas un caractère si exceptionnel que ça. Son effet était celui de n’importe quel autre nourriture. Jésus en rappelle le résultat : « au désert, vos pères ont mangé la manne et ils sont morts ». Dieu ne peut-il pas faire quelque chose de plus pour l’homme que simplement lui donner quelques années à vivre ? Sa promesse consiste-t-elle à conduire un peuple d’une terre à une autre ?
Ainsi, Jésus montre que le temps de la manne était déjà glorieux, mais qu’il appartient aussi à un passé révolu. La foule avait juste cependant quand elle a discerné que le temps du Messie est bien arrivé. Mais c’est aussi le temps d’une manne nouvelle : « le pain vivant qui qui est descendu du ciel et qui, à la différence de la manne, donne la vie au monde ».
Si aujourd’hui encore nous entendons l’Évangile, sachons bien que Jésus a à cœur de nous préparer encore à ce pain qui donne la vie au monde : « travailler, dit-il, non pas pour une nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle ».
Il nous prépare comme il l’a fait avec ses contemporains : en faisant appel à la manne que nous avons déjà reçue autre fois. En vous parlant de la manne déjà reçue, je veux parler de tous ces questions, de tous ces « qu’est-ce que c’est ? » Toutes ces questions se sont éveillés en nous à l’aube de notre vie consciente.
J’en ai fait l’expérience en visitant les enfants de première primaire à la fin du mois de juin. Tout est sujet d’étonnement chez eux et tout foisonne de questions : Cela va de « qu’y a-t-il après la mort ? » À « Où étais-je avant d’être dans le ventre de ma maman ? » En passant par « Qu’est-ce qu’il y a à l’intérieur d’un trou noir ? » (Cela dit, je bénis le ciel d’avoir reçu un bon cours de physique et un bon cours de métaphysique…)
L’enfance, c’est le moment où l’homme est encore libre de beaucoup de soucis, où tout est une découverte pour lui. L’enfant découvre le monde comme les Hébreux ont découvert la manne. Le simple fait d’exister est déjà une merveille. L’enfant aperçoit alors de façon évidente qu’une vie sans amour est aussi une vie qui n’a pas de sens. C’est parce que l’enfant à ces questions à cœur qu’il peut aussi envisager la vie éternelle comme quelque chose qui mérite toute son attention.
Frère et sœurs, nous ne sommes plus des enfants. Le Christ s’adresse à nous qui sommes des hommes et des femmes d’âge mûr et qui travaillons beaucoup… Le Seigneur ne nous demande pas d’abandonner entrer nos travaux, mais il nous avertit que nous perdrons le fruit de ces travaux si nous oublions de travailler pour ce qui demeure jusque dans la vie éternelle…
Alors, quel est ce travail ? Voilà une chose curieuse… Jésus demande que l’on travaille, mais pas pour un salaire que l’on mérite, mais en vue d’un don que lui seul peut offrir : « la nourriture que vous donnera le fils de l’homme ». C’est celle-là qui demeure jusque dans la vie éternelle.
Ce travail, frères et sœurs, en quoi consiste-t-il, sinon à grandir dans la foi. Rappelez-vous encore la question de la foule : « Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé, avait répondu Jésus ».
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