Dimanche dernier, l’Évangile nous parlait de la prière de la veuve : prière persévérante, prière qui obtient le triomphe de la justice de Dieu. Mais qu’est-ce cette justice de Dieu ?
Soulignons tout d’abord cet aspect élémentaire : Dieu agrée les justes ; le mal, il le déteste. Passer à côté de cela, c’est s’autoriser à tolérer le mal ; c’est finir par s’emberlificoter dans une miséricorde qui laisse s’installer toute sorte d’abus… Cependant en parlant de la justice de Dieu, il ne faut pas oublier qu’il y a en lui cette finesse de discernement qui ne lui permet pas de confondre le pécheur et son péché. C’est en raison de cette distinction que la justice de Dieu cherche aussi le salut du pécheur.
Il est bon de garder cela en tête pour méditer la figure des deux hommes dont nous parle l’Évangile d’aujourd’hui : le publicain et le pharisien qui prient dans le Temple. Le publicain est un pécheur notoire ; c’est un collecteur d’impôts. Voilà qu’il rentre chez lui après que Dieu l’a rendu juste. Quant au pharisien, il fait tout pour plaire à Dieu en se conformant à sa Loi. C’est quelqu’un, frères et sœurs, à qui vous pourriez confier vos enfants pour faire leur éducation. Et cependant, il rentre chez lui sans être récompensé de ses efforts.
Pourquoi une conclusion si peu naturelle, qui heurte le sens commun de la justice ? Pour entrer plus profondément dans le mystère de la justice divine, il faut regarder ces deux personnages d’un peu plus près. Que fait notre pharisien ? Dans le Temple, il aligne un chapelet de qualités morales ; il en fait étalage ; il les admire. Cela lui permet d’approcher Dieu avec un certain sentiment de sécurité : il est à l’abris du blâme. Son cœur est occupé par le mérite ; il n’attend plus de Dieu qu’une parole qui reconnaisse ses efforts. Enfin - c’est là que nous voyons qu’il a la tête à l’envers - il se compare au pécheur : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes (ils sont voleurs, injustes, adultères) ou encore comme ce publicain. » Il a l’esprit à l’envers, parce que le regard qu’il pose sur le publicain n’est pas celui de Dieu, lequel prend bien soin de ne pas confondre le pécheur et son péché. Et notre publicain ? Son cœur est occupé, non par le mérite, mais par sa défaite morale. Il se tient à distance, les yeux baissés, sa frappant la poitrine, signe qu’il déteste le mal commis, son état de pécheur. Malgré toute sa faute, il rejoint Dieu sur ce point : il hait son péché. Et c’est à cause de cette commune détestation que peut se déployer en lui cette justice de Dieu qui veut sauver le pécheur.
Frères et sœurs, l’attitude du publicain n’est pas spontanée ; en revanche, elle est profondément chrétienne. Souvenez-vous, les premiers juifs entrés dans l’Église le jour de la Pentecôte eurent d’abord le cœur transpercé comme le publicain. Cette attitude n’est pas spontanée, car ce qui est spontané, c’est plutôt de fuir Dieu quand on prend conscience de son péché. C’eût été le cas du pharisien si Dieu avait mis le doigt sur un vice caché. Il se serait encouru honteusement hors du Temple.
Je voudrais terminer en évoquant un troisième personnage, dont le passage de ce matin ne fait pas mention et qui tient à la fois du publicain et du pharisien. Je pense à tous ces enfants que l’Église a perdus, à toutes ces personnes qui, face à l’exigence de sa morale, se sont sentis comme des publicains, mais des publicains qui pensaient devoir être comme des pharisiens. Ils se comparaient à eux sans pouvoir atteindre leur vertu. Selon les apparences, ils étaient opposés : alors qu’ils peinaient sans résultat, lui, le pharisien réussissait… Mais selon la mentalité qui les habitait, ils étaient d’accord avec le pharisien que la proximité avec Dieu est une question de mérite. Le pharisien pouvait peut-être se tenir dans le Temple, mais c’était au prix d’un aveuglement sur lui-même. Les publicains dont je vous parle ont fui loin du Temple, mais au prix d’un aveuglement sur Dieu et en oubliant sa miséricorde.
Laissez-moi vous rappeler ce matin que la vie de l’homme, c’est d’être près de Dieu dans la vérité. Aussi, le publicain dans le Temple, comme les premiers chrétiens de la Pentecôte, nous indiquent-ils que la seule attitude religieuse que Dieu attend - le seul sacrifice que nous puissions offrir dans son Temple - c’est celui de la contrition, celui d’un cœur brisé et broyé. L’homme qui emprunte un tel chemin finira par triompher du péché et être vraiment un homme juste parce qu’il ne se sera pas appuyé sur ses propres forces, mais sur la grâce et l’amour de Dieu.
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