Ces derniers dimanches, la liturgie nous a fait entendre différents passages d’évangile où Jésus donnait des instructions aux Apôtres. Elle passe ensuite au-dessus d’autres passages où le Seigneur exprime un certaine déception à propos de ses contemporains ; il déplorait leur manque de générosité à se convertir.
Mais à cette déception succède le passage d’aujourd’hui, qui est d’une toute autre tonalité : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre. Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » La louange surabonde après la déception. Cette expérience n’est pas unique. D’une certaine manière, elle est celle de tout apôtre. C’est le cas de Paul. Il a connu une désillusion à Athènes. Il s’était adressé aux philosophes de l’Aréopage, mais quand il leur eut parlé de résurrection des morts, on lui rétorqua : « Nous t’entendrons là-dessus une autre fois (Ac 17,32). »
À part Denys et Damaris, ainsi que quelques autres, Paul obtint peu de conversion à Athènes (Ac 17,34). Les choses allèrent tout autrement à Corinthe. Quand il écrit à cette communauté, on trouve au début de sa lettre : « Je rends grâce à Dieu à votre sujet pour la grâce de Dieu qui vous a été accordée dans le Christ Jésus (1 Co 1,4). » Il remarque : « Parmi vous, il n’y a pas beaucoup de gens bien nés (1 Co 1,26). » Mais ces « petits » devinrent chers à l’apôtre : « Vous êtes dans nos cœurs à la vie, à la mort (2 Co 7,3). » Frères et sœurs, ce qui est décisif dans la mission apostolique, ce n’est peut-être pas l’efficacité, le nombre de convertis, leur renom…
La part de l’apôtre, après tous ses labeurs, c’est la dilatation du cœur, la joie. Par exemple, quand les septante-deux reviennent de mission tout contents de voir les démons expulsés au nom de Jésus, le Seigneur leur dit de se réjouir davantage de ce que leurs noms sont inscrits dans les cieux (Lc 10,20). C’est une joie que l’apôtre partage avec les anges qui eux aussi se réjouissent de la conversion d’un seul pécheur (Lc 15,7). Enfin, c’est la joie de voir l’effet de la bonté du Père qui ouvre les richesses de son Royaume aux humbles… Laissez-moi souligner une chose à propos de cette joie. On ne la fabrique pas ; elle vient du ciel. Et c’est pourquoi aucune désillusion ne peut en venir à bout ! Cette joie faisait dire à Paul : « Pauvre homme que je suis, si je n’annonce pas l’Évangile (1 Co 9,16) ! »
De là, on peut tirer une autre précision : cette joie, on ne la perd pas. Une fois goûtée, on ne peut l’oublier. Elle imprime une marque indélébile. Même si nous ne sommes pas des apôtres au sens strict, une joie semblable est présente aux origines de notre foi. On perçoit que ce type de joie a été présent et qu’elle a laissé au cœur une marque ineffaçable, quand la foi a subi quelque épreuve : que ce soit la haine du monde, le sentiment de l’absence de Dieu, les contradictions de la vie personnelle et ecclésiale. Pourquoi, à ces moments-là, la foi a-t-elle tenu bon envers et contre tout ? Parce que il y a eu cette perception, souvent à peine consciente, qu’en renonçant à la foi on se condamne à une vie qui se développe à côté de la joie initiale. Joie et foi vont bien ensemble…
Si, d’aventure, il vous semble que la foi faiblit, le remède n’est peut-être pas seulement affaire d’arguments purement rationnels, mais aussi de retrouvailles avec l’expérience originelle de la foi : ces temps ou ces moments où Dieu s’est introduit dans la vie en faisant part des richesses de son Royaume et où le cœur s’est soudain dilaté. L’on peut être quelquefois étonné par les derniers moments d’une personne. Il n’est pas rare que celle-ci retrouve la foi de son enfance à l’approche de la mort. Cela s’explique par la présence d’une joie concomitante au premier acte de foi. Elle a couvé sous la cendre d’une vie apparemment éloignée de Dieu ; et voilà qu’elle ressurgit au moment favorable, celui du salut. Tout ceci ne doit pas décourager l’apôtre d’aujourd’hui qui peine à annoncer l’Évangile à un peuple à la nuque raide. Rien ne sera perdu de ses labeurs.
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