S’il est un domaine où l’on ne s’interdit pas d’être malin, c’est bien celui de l’argent. Le passage d’Evangile d’aujourd’hui nous montre l’exemple d’un homme particulièrement habile en la matière. Pendant des années, il abuse de la confiance de son maître dans la gestion de ses biens. Ensuite, sa corruption découverte, il réussit, par un coup d’adresse, à vivre aux crochets de ses ouvriers jusqu’à la fin de ses jours. Remarquons qu’il le fait sans honte, sans remords sur la conscience. De fait, nous voyons autour de nous des hommes qui parviennent à « gagner leur vie » par des arrangements, des combines ou diverses astuces. Cela a toujours été considéré comme un scandale pour l’homme de la Bible de vivre du travail des autres et d’ainsi avoir le loisir de jouir de l’existence, sans considération pour celui qui est à la peine. Comment ces gens-là peuvent continuer à s’enrichir, à exploiter le pauvre, à vivre comme si Dieu n’existait pas, comme si Dieu ne voyait pas l’injustice ? Comment ? Sinon en réservant la justice pour l’Audelà.
Cependant Jésus déplore quelque chose de beaucoup plus grave que le scandale dénoncé par le prophète Amos (Am 8,4-7). Si l’on trouve des gens malins, plus rares sont ceux, parmi les fils de la lumière, qui sont capables de manifester une habileté semblable à celle du gérant malhonnête dans leurs propres affaires, c’est-à-dire quand il s’agit de s’emparer du Royaume. Pourquoi sont-ils si peu nombreux ces « fils de la lumière » ? Parce qu’en matière d’argent, il n’est requis qu’une intelligence de calcul, une façon de penser capable de fournir un résultat immédiat.
L’intelligence qui calcule s’apprend facilement ; la sagesse, au contraire, a besoin de temps pour se former.
Mais dans le domaine qui préoccupe les fils de la lumière, il faut une vraie sagesse. Il faut savoir non pas calculer ou échafauder les plans, il faut savoir examiner ses désirs, discerner leur origine, apprécier leur consistance ou leur inconsistance ; il faut avoir une certaine connaissance de ses passions et percevoir où elles mènent. Il faut déceler les tentations, pressentir leur approche, leur germination ; il faut pouvoir déjouer le piège de leur fascination et les repousser virilement. L’intelligence qui calcule s’apprend facilement ; la sagesse, au contraire, a besoin de temps pour se former. Elle implique une juste connaissance de soi ; pour bien prendre la mesure des mouvements du cœur, le sage doit apprendre à patienter. C’est là, entre autre, que se situe l’antagonisme entre les serviteurs de l’Argent et les serviteurs de Dieu.
La cupidité, en effet, veut brûler les étapes ; elle veut beaucoup et vite ; elle ne s’encombre pas de problèmes de conscience ; elle emmure les capacités intellectuelles de l’homme dans l’astuce et le calcul. Ainsi avance-t-elle le nez dans le guidon, obnubilée par ce qui brille. Elle mène une politique à courte vue. La sagesse, au contraire, cherche toujours à prendre de la hauteur ; son horizon est la vie éternelle. Elle saisit l’ironie de cette parole de Jésus : « Faites-vous des amis avec l’Argent trompeur afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. » La sagesse sait très bien, par sa connaissance du cœur de l’homme, que l’amitié nouée sur base d’intérêt d’argent sera dissoute bien avant la fin de cette vie. Que dire, pour terminer, sinon de conseiller de s’enrichir de vraies amitiés. Qui a de vrais amis ne sera jamais pauvre ou seul ! Certes, l’argent, il en faut pour vivre, mais la sagesse populaire enseigne qu’il est bon serviteur, mais mauvais maître. Les êtres humains, en tout cas, sont à aimer pour eux-mêmes. Chaque âme est une « rareté ». Elle est donc précieuse ; sa valeur est infinie. Heureux qui sait apprécier cette richesse. Heureux celui qui a choisi d’illuminer l’âme de son prochain. Il ne manquera pas d’amis qui l’accueilleront, le moment venu, dans les demeures éternelles.
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