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Réparer notre relation à la Vie | P. Sébastien Dehorter | 2E DIM. CARÊME | 08/03/2020




[Introduction à la messe] LS § 217. « S'il est vrai que "les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands", la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure.

Mais nous devons aussi reconnaître que certains chrétiens, engagés et qui prient, ont l’habitude de se moquer des préoccupations pour l’environnement, avec l’excuse du réalisme et du pragmatisme. D’autres sont passifs, ils ne se décident pas à changer leurs habitudes et ils deviennent incohérents. Ils ont donc besoin d’une conversion écologique, qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus-Christ sur les relations avec le monde qui les entoure.

Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne ».

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La vie était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. Les lectures de ce dimanche nous invitent à réparer notre rapport à la vie.

Pour bien comprendre l’appel d’Abraham (Abram), il faut d’abord se rappeler qu’au moment où la voix de Dieu retentit aux oreilles de son cœur, il est, de multiples manières, enfermé dans les ténèbres et dans la mort. Enfermé dans la mort de son frère Harân ; enfermé dans le comportement quasi incestueux de son autre frère Nahor qui a pris pour épouse la fille de ce frère décédé (le jeu incestueux des tontons) ; enfermé dans une image écrasante de son père puisque son nom, Abram, signifie « [mon] père est grand » ; enfermé dans la stérilité de sa femme ; enfermé enfin dans l’échec d’un voyage qui n’a pas abouti, puisque, partis de Ur en Chaldée pour aller vers Canaan, ils se sont arrêtés en chemin dans une ville dont le nom est précisément Harân, celui du frère décédé. Et c’est là que son père mourut à son tour.

Or, la mort et la souffrance, lorsqu’elles nous pressent ainsi de toutes parts, ne font qu’engendrer la mort en nous-mêmes. Nous connaissons trop bien ces comportements mortifères qui écrasent. Ce qui pourrait ressembler à de la paresse ou procrastination – la mort du bien que l’on n’a pas fait – et qui ne traduit en général qu’un manque de raison de vivre. La critique, sous toutes ses formes, depuis la plainte jusqu’à la médisance ou le facebook bashing, qui est la mort de l’image de l’autre, nous privant ainsi du bien qu’il pourrait nous apporter. Le mensonge ou la mort de la vérité, pour cacher tout cela. La honte de soi ou des autres qui est la mort de sa propre image et de sa propre histoire.


Au seuil de la grande histoire du salut, la voix divine dit en une formule brève l'essentiel de la vocation d'un homme en ce monde : sois une bénédiction.

Et voilà que Dieu se révèle comme celui qui appelle. Deux mots retentissent aux oreilles du patriarche. Le premier : Va, « va vers toi-même » comme on traduit parfois, « vas-y vraiment, réveille-toi, lève-toi, pars, quitte cette situation de mort, arrache-toi, avance, change, Va vis et deviens, va vers la Vie ! ». Et c’est véritablement une grâce d’entendre cette parole, une parole qui secoue, certes, mais une parole au service de la vie. Le deuxième mot est : tu seras une bénédiction que l’on peut aussi traduire par : sois bénédiction. Au seuil de la grande histoire du salut, la voix divine dit en une formule brève l’essentiel de la vocation d’un homme en ce monde : sois une bénédiction. Lorsque nous disons de quelqu’un « qu’il a été une bénédiction pour nous », cela signifie qu’il a été une source de bien. Là où tu te trouves, « apporte le bien aux autres, fais-le rayonner autour de toi, fais grandir la vie et la joie ». Voilà une belle manière d’envisager son existence : ai-je été une bénédiction pour mes frères et sœurs ? Pour être bénédiction, il faut passer de la préoccupation de soi au don de soi, car la bénédiction, c’est le bien qui se diffuse, qui se répand, à la manière de l’eau qui coule dans un désert et produit la vie sur ses rivages.

Ce qui est étonnant dans l’histoire d’Abram c’est qu’il ne lui a fallu qu’une parole pour qu’il se mette en route, comme s’il n’attendait que cela. La voix lui a fait entendre une promesse, un pays, une descendance, une relation privilégiée avec le Seigneur, et cela a suffi. Car, tandis que la mort enferme, la vie, elle, ouvre toujours de nouveaux horizons.

Que devient l’évangile de la Transfiguration dans cette perspective ? Nous pouvons le lire comme un approfondissement de la promesse et un approfondissement de l’appel. Avec l’évangile, en effet, on passe de la promesse à une vision, la vision du corps du Christ transfiguré, métamorphosé, comme éclairé de l’intérieur. Les trois hommes choisis par Jésus pour être témoins de la scène savent que cet homme qu’ils ont commencé à suivre, cet homme qui les attire en même temps qu’il les déstabilise, lui qui vient d’annoncer un destin de souffrance, de rejet, de mort et de résurrection, porte en effet la lumière de la vie au fond de son être, une lumière qui n’est pas de ce monde tout en se révélant en grande cohérence avec le passé d’Israël, représenté par Moïse et Élie. Et cette vision a également valeur de promesse pour eux : voilà où peut vous conduire la suite du Christ.

À Abraham, figé au village de Harân, il avait été dit : va ; aux disciples, emmenés par Jésus sur la montagne, retentit cette même voix, mais avec des mots différents : écoutez-le, ce qui signifie aussi : « obéissez-lui, suivez-le, faites-lui confiance ». L’écoute obéissante de la parole du Christ est toujours une mise en route, un exode de soi-même, un arrachement à la mort qui veut nous retenir, une avancée dans la vie, dans la vie qui se donne et qui bénit.

En célébrant l’eucharistie de ce jour, nous recevons comme les disciples, mais sous une autre forme, le gage de l’immortalité dans la suite du Christ. Recevons-là comme une promesse et un appel, l’appel à réparer notre rapport à la vie en détachant tous ces liens et comportement mortifères, l’appel à être une bénédiction. Amen.


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