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"Une présence diaphane" | 5ème dimanche de Pâques | P. Sébastien Dehorter | 07 05 2023

Dernière mise à jour : 3 juin 2023

L’évangile que nous venons d’entendre a été prononcé dans le cadre intime de la dernière Cène. Discours d’adieu, discours testament, c’est aussi un commentaire de l’Eucharistie que Jésus vient d’instituer en même temps que le lavement des pieds, comme pour en dévoiler tout le contenu. L’Eucharistie en effet est le nouveau mode de présence de Jésus au monde que l’on peut qualifier à la fois de dynamique (Jésus part, il vient) ; également, d’une présence sous le mode de l’effacement (plus précisément, il faudrait dire de la « diaphanie » : qui me voit, voit le Père), enfin, d’une présence chargée une promesse étonnante : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grande parce que je pars vers le Père. Pour approfondir cela, nous avons les deux questions posées par Thomas et Philippe.


Thomas est souvent associé à l’incrédulité (voir et toucher pour croire, dans une démarche quasi-scientifique). Mais avant cela, et peut-être plus profondément, j’aime voir en lui « l’homme du chemin ». La première fois en effet que nous le rencontrons dans l’évangile, c’est au moment de la mort de Lazare que Jésus va rejoindre en Judée alors que des juifs cherchent à tuer Jésus. Lorsque celui-ci se met en route, Thomas a cette phrase étonnante : allons, nous aussi, mourir avec lui. A ce moment-là, pour lui, suivre Jésus, c’est aller vers la mort. À présent, au soir de la dernière Cène, il est plus prudent : nous ne savons pas où tu vas. Plus tard, après la résurrection, il fera carrément un blocage : « si je ne vois pas, si je ne touche pas, non, je ne croirais pas ». Tout se passe comme si face à l’incompréhension du chemin de Jésus, Thomas se bloquait, se repliait peu à peu sur lui-même, s’enfermait dans le refus de croire. Jésus, de son côté, avance a contrario sur un chemin de vie de plus en plus intense, depuis la résurrection de Lazare jusqu’à sa propre résurrection.


Au soir de la dernière Cène, Thomas nous rappelle que l’Eucharistie elle-même est un chemin (et pas seulement un viatique - la nourriture du chemin). Et, selon l’étape de notre vie, cela peut nous attirer ou bien, au contraire, nous effrayer. « Seigneur-Eucharistie, où veux-tu m’entraîner ? Nous ne savons pas où tu vas ?». En fait, ce chemin à la fois un chemin pour l’intelligence – qui consiste à passer sans cesse du signe à la réalité ; et aussi un chemin pour la volonté – dans ce mouvement d’action de grâce et de don de soi qui est le dynamisme interne de l’Eucharistie. Autrement dit, chemin de vérité d’un côté – comme si la structure profonde du réel était eucharistique, celle de signes qui ne se dévoilent dans la donation-livraison d’eux-mêmes ; chemin de Vie dans l’autre - dans le sens de l’amour qui se donne non pas pour se perdre mais au contraire pour se trouver davantage et se diffracter dans les êtres. Je suis le chemin, la vérité et la vie.


On dit parfois que les règles de la vie sont semblable à celle du jeu de dame[1] : « un pas à la fois ; toujours en avant ; lorsqu’on est arrivé au sommet on peut aller où l’on veut ». N’est-ce pas à cela que l’on assiste dans la vie de Jésus : une vie pas à pas depuis Nazareth jusqu’à Jérusalem ; une vie toujours en avant marquée par sa détermination face à la Passion ; une vie enfin qui le fait accéder son immense liberté eucharistique, présent partout et à tous ?


Et puis, il y a Philippe : montre-nous le Père et cela nous suffit. Philippe est un médiateur. C’est lui qui au début de l’évangile ira trouver Nathanaël pour le présenter à Jésus ; c’est à lui et André que plus tard des grecs s’adresseront : nous voulons voir Jésus. En même temps, il est un homme pragmatique, à la recherche de ce qui comble vraiment. Ainsi au moment de la multiplication des pains : deux cents deniers de pain ne suffisent pas pour que chacun reçoive un petit morceau.


Philippe nous rappelle que l’homme est un être de désir : faim, soif, recherche des moyens pour accéder à plus que lui-même, quête de ce qui peut le combler, lui suffire véritablement. Et Jésus Eucharistie répond à cette béance de l’homme : qui me voit, voit le Père. Sous le voile du sacrement, c’est Dieu nous entier - Père, Fils et Esprit Saint - qui se livre à nous. L’Eucharistie nous apparaît ainsi que le point de convergence de toutes nos quêtes du beau, du vrai, du grand, du bon, de l’essentiel.


N'y a-t-il que l’Eucharistie me direz-vous ? Dans une de ses « relations » (note intime sur une expérience spirituelle), Sainte Thérèse d’Avila a écrit ces quelques lignes absolument extraordinaire.

« Après avoir communié, je connus très clairement que Notre Seigneur s’asseyait auprès de moi. Il se mit à me consoler avec de grandes marques de tendresse, et me dit entre autres choses : Me voici, ma fille, c’est moi-même. Montre-moi tes mains. Il me semblait qu’il me les prenait et les approchait de son côté en disant : Regarde mes plaies, tu n’es pas sans moi. Cette courte vie prend fin ».

Et elle ajoute ce commentaire :

« Je compris, par certaines choses qu’il me dit, que depuis qu’il est remonté dans les cieux, il n’est jamais descendu sur terre pour se communiquer aux hommes, si ce n’est dans le très saint Sacrement[2] ».

Il y aurait beaucoup à dire sur ce texte. Je voudrais souligner deux choses. D’abord la finale qui, avec d’autres mots, dit au fond que désormais toutes les manifestations de Jésus seront sur le mode eucharistique. Et puis cette invitation étonnante : « montre-moi tes mains ». Ce n’est plus Thomas qui demande à voir, c’est Jésus lui-même qui invite. Et dans les mains ouvertes de Thérèse trois révélations nous sont humblement offertes : 1) la brièveté de la vie; 2) le fait qu’un autre ait souffert pour nous ; 3) l’étonnante proximité d’une présence consolante.





[1] Voir Martin Buber, Le chemin de l’homme, éd. du Rocher, p. 30. [2] Thérèse de Jésus, Œuvres complètes, Seuil, p. 500-502 ; voir le commentaire de Noëlle Hausman, « Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582). Sur quelques visions et leur interprétation », dans Vies Consacrées 81 (2009), p. 210-221.

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