« Je voudrais pouvoir prendre chacun de vous par la main et vous mener exactement à l’endroit, juste au moment. Je voudrais que vous effaciez tous les bruits, même ces chants que nous avons entendus. Je voudrais que nous fassions silence. Je voudrais que nous nous reposions un peu. Et que nous regardions avec les yeux de la foi ce moment et cet instant ». Ainsi s’exprimait l’un des précédents archevêques de Paris, le cardinal Jean-Marie Lustiger dans une homélie de Noël. Sans doute, il faut toute l’autorité apostolique d’un évêque pour parler avec une telle franchise de parole. Il poursuivait : « [Ce moment] n’est pas seulement présent dans notre mémoire comme un souvenir. Aujourd’hui, dans les rumeurs de la ville qui battent les portent de cette cathédrale, il surgit comme un événement nouveau qui nous sollicite, qui nous engage, qui nous saisit. Oui, je voudrais vous prendre par la main et vous faire oublier que c’est la nuit de Noël. Ne vous donnez pas à vous-mêmes, d’avance, l’idée de ce qu’il faut savoir la nuit de Noël. Mais taisez-vous devant Dieu qui se tait. Acceptez qu’il vous dise quelque chose que vous n’avez jamais entendu. Fermez les yeux pour voir une autre lumière. Acceptez qu’elle vous révèle ce que vous n’avez jamais vu. Alors que vous pensez déjà savoir le secret de cette nuit, admettez que vous ne savez rien encore de ce qui peut vous advenir. Car votre vie est devant vous et Dieu est la vie. Et la vie vient jusqu’à vous. Acceptez la grâce d’être là en cet instant et en ce moment où l’amour se fait si proche, et pourtant se dérobe ».
Retenons d’abord l’invitation au silence. Noël est une fête contemplative. Son sens se dérobe aux bavards et aux agités. Noël en effet nous met devant le mystère de la vie. « Notre vie est devant nous et Dieu est la vie. Et la vie vient jusqu’à nous » ! Comme nous l’entendrons demain, la vie s’est manifestée. Il nous est donné de la voir, de la sentir et de la toucher. Les philosophes ont bien décrit l’expérience que peut faire tout parent devant le visage animé de son enfant. En même temps qu’il s’y reflète, il perçoit aussitôt que la vie qui anime son enfant, ce n’est pas sa vie à lui. Il est renvoyé à plus grand que lui. Ce nourrisson qui lui est cher, il ne peut dire absolument qu’il est son œuvre. Dès ses premiers instants, le nouveau-né manifeste une origine plus grande que l’apport des parents. Face à Jésus, l’expérience se redouble et s’intensifie car en lui c’est Dieu lui-même qui vient à nous et s’insère dans la vie du monde. En retour, il nous est donné de « réfléchir sur notre propre vie insérée dans celle de Dieu ».
Face à un tel signe, il y a un risque à prendre, c’est celui de croire afin de pouvoir avancer.
Cela dit, le mystère de Noël n’a rien d’évident. Comme le disait encore le Card. Lustiger, « l’amour se fait proche et pourtant se dérobe ». Nous pourrions penser ou espérer qu’en cette nuit le monde entier s’accorde avec nous pour reconnaître la grandeur de l’événement qui nous rassemble. Or, il n’en est rien. La voix qui se fait entendre sur les places publiques, c’est, hier comme aujourd’hui, la voix de César et de ses porte-parole, une voix qui colporte des rumeurs et des cris de guerre mais qui est incapable de reconnaître dans l’insignifiant nouveau-né de Bethléem celui que les anges désignent comme Christ et Sauveur. En réalité le signe qu’ils donnent, celui d’un nouveau-né couché et emmailloté dans une mangeoire est un signe qui ne s’impose pas. Il n’a rien d’une évidence ; il cache plus qu’il ne montre. Face à un tel signe, il y a un risque à prendre, c’est celui de croire afin de pouvoir avancer. Ainsi, si Noël est l’accomplissement de tout un chemin de promesses, il s’agit davantage d’un commencement plutôt que d’un aboutissement. Cela a beau être, aux yeux du monde, une "fête de fin d’année", espérons qu’elle nous encouragera à revenir au Seigneur plutôt qu’à mettre un terme à notre relation avec lui.
Comment interpréter ce signe aujourd’hui ? L’enfant livré dans la mangeoire, c’est aussi ce corps en train de naître dans l’humiliation et les souffrances, ce corps qui est son Église. L’Enfant livré dans la mangeoire c’est ce corps auquel nous allons communier et auquel nous allons être assimilés. Par conséquent, et aussi étrange que cela puisse sembler, la seule manière d’avoir accès au mystère de cette nuit, au signe de l’Enfant dans la mangeoire, c’est d’accepter d’y être inclus, d’y être in-corporé. En cette nuit très sainte où la vie vient à nous, osons venir à elle. Nous nous y approcherons par le silence et par la foi, par l’eucharistie et par la charité fraternelle. Puisse ce mystère nous être révélé. Amen.
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