L’observation de la nature est quelquefois riche d’enseignements. Le chien de mon frère, par exemple, s’excite au moindre son, mais il est aussi capable de rester tranquille un bon moment, près du poêle, à ronger son os. Il y use ses dents, fait les muscles de sa mâchoire et se délecte du goût de la vraie viande. Ce que fait cette brave bête, nous avons à le faire en quelque sorte quand nous méditons la Parole de Dieu. Il s’agit de la retourner dans tous les sens pour y mesurer sa solidité, pour en sentir le parfum de la vérité.
Faisons cet exercice aujourd’hui avec ces mots que nous trouvons chez saint Paul, dans la première lecture : « aucun don de grâce ne vous manque. » C’est vrai ! Et cela reste vrai alors que le confinement nous empêche de nous rassembler : rien ne nous manque… C’est en effet paradoxal ; et il convient de tenir les deux ensemble : le caractère indispensable de l’eucharistie et le fait que, selon la parole de l’apôtre, rien ne nous manque.
On ne peut surmonter un paradoxe qu’en prenant de la hauteur, qu’en découvrant une intelligence plus profonde et plus vaste de l’eucharistie. C’est à ce prix que nous pouvons tenir les deux versants du paradoxe : la nécessité de l’eucharistie pour une authentique vie chrétienne et cette Parole qui reste vraie quelles que soient les circonstances.
Si « aucun don de grâce ne nous manque », c’est parce que le Seigneur vient ; c’est parce qu’Il nous prépare lui-même. En aucun cas, nous ne sommes abandonnés. Oui, Il nous fera tenir fermement jusqu’au bout ! Et nous n’allons pas défaillir en l’attendant ; en temps voulu, nous le verrons se révéler.
Je sais que, vous comme moi, nous sommes dans l’attente de l’eucharistie. Je me réjouis d’ailleurs de vous voir refuser de vous résigner à ce fait et d’espérer être libérés des contraintes de l’épidémie. Mais la vie chrétienne ne se restreint pas à la réception de la communion eucharistique. Celle-ci doit nous influencer durablement. Si, par exemple, nous cessions d’attendre le Seigneur, nous aurions beau communier, nous ne serions pas marqués par l’empreinte de l’eucharistie. Or celle-ci veut imprimer une orientation générale à notre existence, c’est-à-dire un style particulier, une mentalité originale, différente de celle de l’homme naturel livré à lui-même : l’attente du Seigneur. L’eucharistie est en effet comme un soc de charrue qui trace un sillon derrière elle ; elle est comme un bateau qui fend la mer et qui y dessine un sillage. S’il n’y a pas de sillon, c’est qu’il y a pas eu de charrue ; s’il n’y a aucun remous dans l’eau, c’est que le bateau n’est pas passé. Si nous sommes pris au dépourvu lors de la venue du Seigneur, si l’attente ne nous a pas travaillés, à quoi sert-il de communier ? Quel est le fruit de la communion ?
Pire encore ! Si nous ne réalisons pas qu’à travers l’eucharistie c’est le Seigneur lui-même qui nous prépare en anticipant sa venue, alors nous sommes obligés de donner nous-mêmes un sens à l’eucharistie pour y justifier notre participation. Mais à la longue cet effort est épuisant parce que nous sommes en dehors du réel. Pour finir, nous abandonnerions la pratique. Et il n’est plus nécessaire de suspendre les célébrations…
Frères et sœurs, notre méditation est partie de ce que nous avons envers et contre tout – surtout contre les apparences – gardé ensemble et la Parole et l’eucharistie. À travers ces deux réalités, le Seigneur nous forme et nous instruit. C’est sa vérité qui fait éclater les limites de la pensée humaine et fonde l’authentique esprit chrétien. Car un même Esprit habite la parole et l’eucharistie, un Esprit d’attention et de veille, un Esprit qui est celui de Jésus, un Esprit qui nous prépare à sa Venue et nous met déjà en sa Présence.
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