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"Reste avec nous Seigneur" | 3E DIMANCHE DE PÂQUES | P. Sébastien Dehorter | 26/04/2020




Dans l’évangile, très connu, que nous venons d’entendre, il y a de nombreuses indications de mouvement et c’est à partir d’elles que je vous propose de le méditer.

Je ne peux m’empêcher de penser que, depuis plusieurs semaines déjà, de nombreux chrétiens, privés de l’Eucharistie, de la proximité d’une église ou du contact fraternel avec d’autres chrétiens se sont éloignés progressivement du cœur de la foi, d’une relation vivante avec Dieu, de même que les deux disciples de l’évangile marchent en s’éloignant de Jérusalem. Évidemment, si vous, vous participez à cette eucharistie, ce n’est pas votre cas, mais nous ne pouvons pas ne pas penser aux autres. Il suffit de passer quelques coups de fils pour se rendre compte que beaucoup - tout en vous disant que tout va à peu près bien, que les cours continuent à l’université, qu’ils ne s’embêtent pas trop et qu’il fait beau dehors – n’ont plus de vie de foi.

La première chose que fait Jésus est de s’approcher et de les interroger. Si l’on gratte un peu le texte on remarquera qu’il leur dit : de quoi parliez-vous en marchant, non pas en reprenant le verbe que Luc avait utilisé pour dire qu’ils faisaient route vers Emmanüs, mais le verbe grec peri-pateô, bien connu des philosophes, dont une traduction possible est « déambuler », autrement dit « tourner en rond ». Et eux, à cette parole, s’arrêtèrent tout tristes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ceux qui s’éloignent de Dieu, ne s’en rendent pas forcément compte - ça serait si simple ! Mais, comme les disciples, leurs yeux ont été aveuglés, ils commencent à tourner en rond et la tristesse s’installe. St Pierre, dans son épître fait un constat similaire lorsqu’il parle de la vie sans but (vaine) que vous meniez à la suite de vos pères. Il est alors heureux que la question de Jésus marque un coup d’arrêt à cette situation, de sorte que, désormais, c’est lui-même qui les fera avancer.

À la suite de Jésus, il nous faut donc, nous aussi, parcourir les Écritures pour essayer de comprendre à leur lumière ce qui nous concerne et ce qui le concerne, lui, dans la situation présente. En ces jours, il me revient souvent ce passage du livre d’Isaïe, au ch. 7, lorsque Jérusalem tremblait face à la menace assyrienne et qu’elle reçut cette parole du Seigneur : si vous ne croyez pas – si vous ne tenez pas dans la foi – vous ne vous maintiendrez pas. Et juste après vient le fameux oracle de l’Emmanuel, c’est-à-dire le don d’un signe pour Jérusalem, un signe dont le nom signifie : Dieu-avec-nous. Oui, nous sommes dans le temps de la foi, cette foi qui permet de tenir fermement, de tenir debout, mais aussi de comprendre, d’avoir les yeux décillés, ouverts, pour reconnaître le signe de la présence de Dieu.

Car c’est également la reconnaissance d’une présence qui est ultimement l’enjeu du cheminement des deux disciples. Luc rapporte qu’au moment où ils s’approchèrent du village, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Comportement très intriguant ! En le méditant, je me suis souvenu de deux passages bibliques où l’on remarque un mouvement similaire, à savoir : i) une tentative ou un commencement de dépassement mais qui conduit finalement ii) à une communion plus grande. Le premier passage est en St Marc lorsque Jésus, après la multiplication des pains, rejoint de nuit les disciples qui galèrent sur la mer car le vent est contraire. Et Marc note ce détail que les autres évangélistes ne vont pas retenir : Jésus voulait les dépasser au moment où ceux qui étaient dans la barque se mirent à crier. Et l’on sait que finalement, Jésus va monter dans cette barque, un grand calme va se faire, et ils arriveront à bon port. Le second passage est tiré du Cantique. Au milieu de la nuit, la bien-aimée s’est levée, elle cherche celui que son cœur aime mais elle ne l’a point trouvé. Elle interroge les gardes : avez-vous vu celui que mon cœur aime ? mais sans obtenir de réponse. Le poème continue : à peine les avais-je dépassés, j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et ne le lâcherai point, que je ne l’ai fait entrer dans la maison de ma mère. Certes ici, ce n’est pas le bien-aimé qui dépasse ; mais en réalité, peu importe : intérieurement, pour celui ou celle qui cherche, qui, au milieu de la nuit, est dans la détresse, le mouvement intérieur est le même : mouvement de dépassement, de désarroi, déception qui provoque une réaction de sursaut, pour conduire finalement à une communion extraordinaire : c’est Jésus qui entre pour demeurer dans la maison d’Emmaüs, c’est Jésus qui monte dans la barque et apporte la paix, c’est le bien-aimé qui est introduit dans la maison.


Ce matin, nous redécouvrons que l’eucharistie est la réponse du Ressuscité à une supplication de l’Église

Ce matin, nous redécouvrons que l’eucharistie est la réponse du Ressuscité à une supplication de l’Église, une supplication intense, faite au nom de tous ceux qui se sont éloignés, de ceux dont la barque est secouée par le vent (rappelons-nous la prière du Vendredi 27 mars), de ceux qui pleurent seuls dans la nuit. Cette prière, nous la reprendrons au moment de la communion spirituelle : Reste avec nous Seigneur, reste avec nous, mane nobiscum Domine.

Pour mieux comprendre l’enjeu spirituel de l’eucharistie, je voudrais encore vous lire un bref passage, absolument exceptionnel, un extrait d’une des fameuses « Relations de Ste Thérèse d’Avila », ces brèves notes spirituelles, ici daté du 18 avril 1571. Elle écrit ceci : « Après avoir communié, je connus très clairement que Notre-Seigneur s’asseyait près de moi. Il se mit à me consoler avec de grandes marques de tendresse et me dit entre autres choses : "Me voici, ma fille, c’est moi-même. Montre-moi tes mains". Il me semblait qu’il me les prenait et les approchait de son côté en disant : "regarde mes plaies, tu n’es pas sans moi. Cette courte vie prend fin". Je compris, par certaines choses qu’il me dit, que depuis qu’il est remonté dans les cieux, il n’est jamais descendu sur la terre pour se communiquer aux hommes, si ce n’est dans le très saint Sacrement ». Je souligne la dernière phrase. Le Seigneur a donc conduit Thérèse à comprendre que toutes ses manifestations tiennent dans le mystère de sa Présence eucharistique. Qu’il en soit de même pour nous de sorte que nous osions supplier avec une douce insistance : Reste avec nous Seigneur. Oui, reste avec nous. Et que l’eucharistie nous soit redonnée ensemble. Amen.

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