« Ton amour vaut mieux que la vie : tu seras la louange de mes lèvres ! », ce verset du psaume résonne de manière particulière dans le contexte que nous vivons actuellement. Le psalmiste ose en effet affirmer qu’il y a pour lui plus précieux que la vie elle-même : « l’amour de Dieu ». Cette expression recèle d’ailleurs une ambiguïté puisqu’elle qui peut signifier : l’amour que Dieu a pour moi, l’amour que j’ai pour Dieu, ou encore l’amour qui provient de Lui, a été déversé dans mon cœur et me permet d’aimer la Création et les créatures. Cette forte affirmation du psalmiste résonne effectivement dans la situation présente. Lorsque l’on néglige de prendre en compte des valeurs supérieures à la vie physique, cela conduit parfois à prendre des décisions qui nuisent à cette vie et peuvent la rendre invivable ou inhumaine, ce qui revient au même. C’est pourquoi, plus que jamais, nous avons besoin de personnes dont la vie témoigne de cet au-delà de la vie physique. Les lectures d’aujourd’hui nous en évoque quatre, outre le psalmiste ce sont Jérémie, Saint Paul et Jésus lui-même.
Ces témoins nous donnent l’exemple de vies aimantées par un amour qu’ils chérissent encore davantage que leur propre vie. Jérémie décrit cela ainsi : « Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ». Ce coup de foudre n’a pas pour autant rendu sa vie facile : « À longueur de journée je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi ». Croire à un amour qui serait plus précieux encore que la vie physique engendre en effet souvent l’incompréhension. Tout le monde se met à raisonner le doux rêveur. Même Saint Pierre que nous avons entendu dimanche dernier professer si magnifiquement sa foi au Christ, entreprend aujourd’hui de ramener son maître Jésus qui vient d’annoncer sa passion, à la raison : « Le prenant à part, il se mit à lui faire de vifs reproches : ‘Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas’ ».
On aurait pu s’attendre à une autre réaction. Imaginons la réaction que nous aurions face à un étudiant qui annonce qu’il va beaucoup souffrir durant sa période d’examens. Ne lui ferions-nous pas valoir tous bonnes choses qui l’attendent après, une fois l’épreuve passée et la réussite obtenue. Or Jésus ne s’était pas contenté d’annoncer sa Passion, il avaot également révélé à ses disciples qu’il allait « le troisième jour ressusciter ». Tout se passe comme si Pierre n’avait pas entendu cela, incapable qu’il est de porter son regard au-delà de la vie physique. Il décrète péremptoirement : « Cela ne t’arrivera pas ». En voulant écarter la mort annoncée par Jésus, il veut le priver, et nous avec, de l’inouï de sa résurrection ! Et notons au passage que vouloir éviter la mort à tout prix a quelque chose d’extraordinairement irréaliste puisqu’elle finira de toutes façons par nous rejoindre.
Cette mentalité, illustrée ici par Saint Pierre, mène inévitablement à une impasse. C’est pourquoi Saint Paul nous exhorte, par « la tendresse de Dieu » à nous offrir à l’aventure que ce tendre Dieu nous propose. Cette offrande de nous-mêmes entrainera, nous dit-il, un renouvellement de notre « façon de penser », nous permettant de « discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait ». Et Jésus dit plus directement à Képhas : « Passe derrière moi », ce qui veut dire « suis-moi ! ». « Suis-moi » et je te montrerai la grâce d’une vie aimantée par l’amour et l’espérance de la résurrection. Une fois ressuscité, Jésus, venant à la rencontre de Pierre sur les bords du lac de Tibériade lui renouvellera cette invitation à être le premier à le suivre et à devenir ainsi le pasteur de ses brebis.
Pendant huit ans, Jésus m’a donné d’être le pasteur de ce petit troupeau qui se réunit ici à Saint François. Avant de chercher à être pasteur, j’ai d’abord voulu être disciple, le suivre Lui l’unique pasteur ressuscité. Et j’ai tellement reçu des disciples que vous êtes ! Dans le cheminement ensemble, l’échange didactique, le discernement pastoral… Tant de moments précieux d’échange quand l’Esprit est présent et qu’il nous fait sentir la présence du Seigneur au milieu de nous. Inutile de dire combien nos assemblées dominicales vont me manquer. Elles étaient et resteront pour moi comme une anticipation du royaume à venir quand le Seigneur rassemblera toute l’humanité dans son incroyable diversité à la manière d’une seule famille.
Au terme de ces huit années, je rends grâce pour ceux que j’ai pu attirer davantage à lui, qui ont pu faire l’expérience de cet amour qui est plus fort que la mort, s’offrir davantage à cet amour et renouveler ainsi de jour en jour leur façon de penser et d’agir en ce monde, en devenant ainsi des témoins d’un au-delà de ce monde. Et je demande pardon aussi pour ceux que j’ai pu scandaliser en témoignant plutôt par mon attitude d’un attachement à des réalités périssables, ou encore d’une tiédeur et d’un manque de courage à suivre le Christ. Je suis heureux de pouvoir vous confier en partant à un curé et une équipe qui ont, de ce point de vue, toute ma confiance. Cela m’a amusé de voir la conclusion de l’évangile d’aujourd’hui. Puisse-t-elle nous éviter de nous répandre en louanges ou en regrets : « car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite ». À chacun d’entre vous je voudrais dire mon estime, mon affection et ma reconnaissance dans le Seigneur et maintenant rendons grâce dans l’eucharistie !
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