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33E DIMANCHE TEMPS ORDINAIRE| P. Damien Desquesnes | 15/11/2020



L’épidémie nous a renvoyé en pleine figure cette vérité : nous sommes mortels. Je ne vous apprends rien en vous disant cela ; nous le savons tous en effet, que nous soyons croyants ou non. Je vous le rappelle non pour agiter un épouvantail, mais parce que savoir que nous sommes réellement mortels implique une certaine façon de vivre maintenant. Pour employer un mot cher à saint John Henry Newman : vivre avec sérieux. Or c’est là la grande difficulté : vivre sans légèreté, vivre sans frivolité, mais sérieusement ! C’est la grande difficulté parce que vivre sérieusement est d’un esprit complètement étranger au matérialisme et au consumérisme. Ils y répugnent ; ils s’ennuient de cette vie sérieuse ; ils la fuient ; ils s’emploient à nous en distraire.


En vous disant que le matérialisme rejette une vie sérieuse, on peut en déduire aisément qu’une telle vie est une vie spirituelle au sens large, c’est-à-dire qu’elle consiste à donner de l’épaisseur et du poids à nos âmes. Alexandre Soljenitsine disait, dans son discours prononcé à Harvard en 1978, que le parcours d’une telle vie doit nous rendre meilleurs que ce que nous étions quand nous sommes venus en ce monde. Pour utiliser les mots du Seigneur lui-même, c’est une vie qui s’enrichit en vue de Dieu.


Dans une telle perspective, la mort n’est pas quelque chose que l’on doit redouter ; elle est au contraire le point d’orgue de toute une existence ! Et la plus belle illustration de cela, c’est le Christ qui la donne… En effet, quand nous confessons que le Verbe s’est fait chair, il faut souligner qu’Il s’est incarné pour mourir ! pour que dans sa mort il puisse exprimer la totalité de son mystère. Il le dit lui-même quelques heures avant sa Passion : « Il faut que le monde sache que j’aime le Père et que je fais tout ce qu’il m’a commandé » (Jn 14, 31). Jésus veut se dire dans sa mort. Sans la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth, nous n’aurions eu qu’une faible idée de l’amour de Dieu. Dans cette perspective, sachez aussi qu’il n’est pas possible de donner du poids à nos existences – d’aimer en vérité – si nous n’y perdons pas quelques plumes, si nous ne faisons pas quelques sacrifices.


Frères et sœurs, nous peinons tous de ce que nous ne pouvons nous rassembler pour l’eucharistie, pour célébrer cette existence du Christ qui est parvenue à son accomplissement et qui est ainsi la source de toute richesse humaine. Il y a cependant une chose pour laquelle je peine davantage encore, c’est de voir tant d’hommes et de femmes qui ont enterré le talent qu’ils ont reçu : le talent d’une vie traversée par une vocation surnaturelle ; le talent d’une existence faite pour l’éternité. Ne pensez pas que s’ils avaient l’occasion de se réunir, ils s’occuperaient davantage à donner du poids à leur vie. Il suffit même qu’ils se rassemblent pour y penser encore moins. À part quelques exceptions, quel groupe se mettrait à parler d’une vie vécue avec sérieux, cherchant les moyens pour qu’elle devienne meilleure ? Il semble souvent que le conformisme tende à éviter de mener une vie conscient de son enjeu spirituel.


Pour l’heure nous voyons ce manque de sérieux dans l’obsession à prolonger indéfiniment une vie dans la solitude, une vie strictement biologique à laquelle on s’accroche comme au radeau de la Méduse, une vie que l’on prive de ce moment capital où elle peut dire merci, pardon et au revoir. Nous voyons encore ce manque de sérieux dans cette folle insouciance qui ne veut pas voir le danger qu’elle fait encourir aux autres. Ces deux attitudes qui ont l’air opposées se rejoignent cependant.


Frères et sœurs, je m’adresse à vous comme à des personnes qui ont reçu plus d’un talent. Avec la vie, vous avez reçu le talent de la foi, le talent de l’espérance et de talent de la charité. Ajoutons-y un cinquième : le talent d’une ferme volonté de porter sa croix chaque jour. À vrai dire, peu de gens sont jaloux de ces talents ; on ne vous les prendra pas. Investissez-les sans crainte : ils fructifieront d’eux-mêmes.


Je prie qu’en vous voyant vous enrichir en vue de Dieu, les hommes perdent le goût d’une vie qui n’en est pas une ! Qu’ils pressentent que cette vie est un don pour lequel un compte sera demandé. Qu’ils n’ignorent pas que ce Dieu qui l’a donnée est à leur porte et que bientôt il y frappera.


Enfin, je prie qu’à l’heure où nous pourrons nous rassembler, que ce ne soit pas le conformisme qui agisse en nous, mais que le Seigneur nous voie tout occupés à nous enrichir en vue de l’éternité. Que nous puissions lui présenter non pas cinq, mais dix talents. Et qu’après une vie sérieuse, Il nous dise : « entre dans la joie de ton maître ».

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