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Homélie pour la fête-Dieu | 19/06/2022 | P.Damien Desquesnes.

Dernière mise à jour : 22 juin 2022


Vous connaissez certainement de mémoire la parole prononcée par le prêtre lors de la consécration de la coupe : « Prenez et buvez-en tous ; ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés ». Le passage d’évangile que nous avons entendu - la multiplication des pains en saint Luc - m’invite à m’arrêter sur le « pour vous et pour la multitude ». Cette parole, Jésus l’a prononcée la première fois le soir du Jeudi saint, quelques heures avant sa Passion, dans le cercle restreint des disciples : c’est le « pour vous ». Et dans ce « pour vous », on peut inclure tous ceux qui au cours des siècles se rassemblent au nom du Seigneur pour célébrer sa mémoire. Mais cette parole dépasse également les murs du cénacle ou de nos églises. Elle vise en effet l’océan de la multitude.


Qu’est-ce que la multitude ? Qu’est-ce que le Seigneur entendait quand il employait ce mot que nous n’avons guère l’habitude d’utiliser ? Il désigne bien sûr l’ensemble des hommes, mais dans notre culture occidentale, on préfère employer le terme abstrait d’« humanité ». Un terme qui a tendance à oublier ceux qui la composent. Neil Armstrong, quand il posa le pied sur la Lune, dit cette phrase célèbre : « un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité. » Là aussi ce terme d’« humanité » connote la masse humaine - sans distinction des individus - que la science mène de progrès en progrès.


Quand Jésus emploie le mot de multitude, il voit bien sûr l’ensemble des hommes, mais sans oublier aucun de ses membres. Il voit la somme riche et impressionnante des toutes les créatures humaines. Avec une nuance que Neil Armstrong ne sentait pas : la multitude, aux yeux de Jésus, est une multitude blessée par le péché. Elle est une foule errante, morcelée, qui ne sait pas trouver en elle-même son unité. Nous pouvons en faire particulièrement le constat de nos jours. Le cardinal Lustiger, ancien archevêque de Paris, disait que les foules contemporaines sont des foules de solitaires. Or, l’œuvre de Jésus, celle qu’il réalise dans sa mort et dans sa résurrection, c’est de devenir le centre de la multitude. En mourant sur la croix, il donne sa vie en rançon pour la multitude (Mc 10,45). Et en ressuscitant, il devient l’aîné d’une multitude de frères (Rm 8,29).


Saint Paul le dit d’une autre façon dans sa lettre aux Éphésiens : le plan de Dieu consiste à tout ramener sous un seul chef, le Christ. Retenons que Jésus fait de la multitude, de ces foules sans berger et affamées, une multitude sauvée, une multitude réunie en lui. J’insiste sur cette vision qui était celle des Pères, mais qui nous est devenue si peu familière, à savoir que Jésus voit l’humanité sans oublier aucun de ses membres et qu’également, quand il voit un homme en particulier, il le voit toujours en lien avec les autres. Pour les anciens chrétiens, l’humanité est UNE. Elle a été créée une et elle a pour vocation à être une. Et c’est par leur unité entre eux que les hommes deviennent véritablement image de Dieu : jamais seul ou isolé.


Ce projet d’être et de faire l’unité du genre humain, Jésus le révèle à la Cène. Il progresse et se réalise peu à peu chaque fois que nous célébrons l’eucharistie. Ce fut à ce point présent à la conscience des premiers chrétiens que pendant les premières dizaines d’années de l’histoire de l’Église, il n’y avait qu’une seule eucharistie célébrée par Église locale - par diocèse, dirions-nous - celle de l’évêque avec ses prêtres au milieu du peuple chrétien. Cette conscience a perduré même quand le nombre de paroisses s’est mis à augmenter. L’évêque envoyait un diacre porter un morceau de son eucharistie à mêler au calice du prêtre qui célébrait.


Ce rite, nous l’avons gardé, quand lors de l’Agnus Dei, le prêtre laisse tomber un fragment de l’hostie dans le SaintSang. Ainsi, le fruit de l’Eucharistie - le but que nous visons en la célébrant - c’est l’unité de la multitude ! Cela a une conséquence sur notre communion : lorsque nous nous approchons de l’autel pour recevoir le Corps du Christ, nous ne communions jamais pour nous tout seul. L’aspect individuel de l’eucharistie s’est développé naturellement au cours des âges, à la faveur de l’évolution culturelle, mais communier n’est jamais un acte privé. Quand nous communions, nous avons à porter le souci de la multitude, y compris de ceux qui ne sont pas encore explicitement unis au Christ. Oui, bien sûr, quand nous recevons le Corps du Christ, c’est au Seigneur que nous communions, mais nous communions encore à tous avec qui il est uni, c’est-à-dire tous les membres de son Corps.




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