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Zachée ou la grâce d’un regard neuf | Père S. Dehorter | XXXIE DIM. DU TEMPS ORDINAIRE | 3/11/2019

Dernière mise à jour : 11 nov. 2019


Ceux qui fréquentent la cure savent, qu’à droite de la porte du secrétariat, est accrochée une photo où l’on voit un petit enfant juif, les mains sur les hanches et le regard perplexe, car il se tient derrière une haie d’hommes en noir tous semblables - manteau, chapeau, barbe et lunettes noirs – qui lui tournent le dos, en étant absorbés dans leur prière. On pourrait ajouter malicieusement une légende à cette photo : « Luc 19,3 - il ne pouvait pas à cause de la foule car il était petit de taille ». Mais cette photo invite surtout à réfléchir au regard que nous portons sur les situations qui nous entourent : regard de ces hommes pieux tendus dans une même direction, regard de l’enfant, perdu dans cette forêt de dos noirs, regard de l’artiste qui a saisi le tragico-comique de la scène.


L’histoire de Zachée nous met, elle aussi, en présence de trois regards. Le premier est celui de Zachée qui cherchait à voir qui était Jésus mais qui ne le pouvait pas à cause de la foule car il était petit de taille. Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là. Ce désir du regard nous ramène à la fête de la Toussaint qui a cherché à nous faire voir le Ciel et aussi à la béatitude des cœurs purs car ils verront Dieu. On perçoit l’impétuosité de ce désir en ce qu’elle permet à Zachée de passer outre le ridicule de son comportement de sorte que, tout chef de publicains qu’il était, cela ne l’a pas empêché de courir et de grimper dans un arbre ! En vis-à-vis de ce regard audacieux, nous croisons celui de la foule qui, lorsqu’elle voit Zachée accueillir Jésus, récrimine contre ce dernier : il est allé loger chez un pécheur. Nous connaissons trop bien ce regard qui juge et qui accuse, qui enferme et qui ne comprend pas, devenu incapable de s’ouvrir à l’imprévu de Dieu. Enfin, il y a le regard de Jésus, qui, arrivant au pied du sycomore leva les yeux et s’adressa à Zachée.


Pendant tout le temps où Zachée exerçait l’injustice à l’égard de ses concitoyens, Dieu, lui, détournait son regard, pour ne pas le voir, pour ne pas le condamner, à présent, en Jésus, il peut de nouveau lever les yeux vers lui.

À ce sujet, je voudrais m’arrêter sur un détail qui me touche beaucoup. Le verbe que l’on traduit par « lever les yeux » (anablepô) peut aussi se traduire par « voir à nouveau ». On le rencontre par exemple dans l’épisode qui précède, la guérison de l’aveugle de Jéricho. À la question de Jésus : « que veux-tu », l’aveugle répondit : « Seigneur que je voie de nouveau (anablepsô) ». On pourrait donc traduire que Jésus, en arrivant au pied du sycomore, se mit de nouveau à voir Zachée. Dans quel sens ? - me diriez-vous. Au sens où il est dit dans la première lecture : Seigneur tu as pitié de tous les hommes parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés [littéralement : tu détournes le regard] pour qu’ils se convertissent. Il me plaît ainsi de penser que pendant tout le temps où Zachée exerçait l’injustice à l’égard de ses concitoyens, Dieu, lui, détournait son regard, pour ne pas le voir, pour ne pas le condamner, mais qu’à présent, en Jésus, il peut de nouveau lever les yeux vers lui. Et que voit-il dans ce regard neuf ? L’évangile ne nous le dit pas explicitement, mais elle nous fait entendre les quelques mots que Jésus lui adresse : Zachée, descends vite car aujourd’hui dans ta maison, il me faut demeurer. Ces quelques mots ont la valeur de ce que dans un film on appellerait un arrêt sur image. À elle seule, en effet, cette simple phrase est un condensé extraordinaire d’évangile.


- Zachée… car Jésus connaît chacun de nous personnellement et nous appelle par notre prénom. J’ai lu quelque part que Zachée signifiait « le pur ». Et si Jésus voulait le restaurer dans sa signification originelle ?

- Descends… oui, tu es monté, mais maintenant il te faut descendre, car qui s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé. Descends, comme ici à Jéricho, la ville la plus basse du globe. Descends au fond de ton être, dans ta vérité la plus intime, car c’est là que nous nous rencontrons.

- Vite… aujourd’hui… L’évangile est marqué par la hâte. Certes, Dieu prend patience et cependant il ne traîne pas. Soudain, le temps est rempli, c’est donc, aujourd’hui et non pas demain, qu’il nous faut répondre à l’invitation du Christ.

- Dans ta maison… lieu de l’intimité, lieu de la famille, véritable « matrice relationnelle » pour chacun de nous. C’est là que Jésus s’invite, c’est à ce niveau très concret de notre être que nous rejoint le salut, dans notre être-en-relation, dans notre capacité, toujours blessée, à aimer, à pardonner, à se laisser aimer, à vivre la communion.

- Il me faut… Cette expression est l’indicatif de l’histoire du salut qui rejoint Zachée, ici et maintenant. Avons-nous conscience de faire partie intégrante de cette histoire ? Autrement dit, que c’est véritablement pour toi, pour moi, que Jésus a donné sa vie ?

- Demeurer. Par-là, il anticipe la demande des pèlerins d’Emmaüs : reste avec nous Seigneur, demeure avec nous - mane nobiscum Domine. Nous aussi nous voulons retenir le Christ. Nous ne voulons pas nous contenter de quelques moments de grâce, nous voulons qu’il demeure, qu’il reste à jamais. Et la grande réponse de Dieu à cette demande, nous le savons, c’est l’Eucharistie.


Sans doute que le regard du Christ levé sur Zachée n’a duré qu’un instant, le temps de prononcer ces quelques mots : Zachée, descends vite car aujourd’hui dans ta maison, il me faut demeurer. Mais ce fut un regard neuf, un regard qui ne prenait pas en compte le péché duquel il s’était détourné, un regard qui mettait en route. Il y a certes de nombreuses scènes de rencontre dans l’évangile mais l’originalité de celle-ci vient de ce qu’elle va jusqu’au bout en nous faisant entendre la réaction du protagoniste principal. Zachée, debout, dit au Seigneur : « Voilà Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus ». Demandons donc la grâce de percevoir tout ce que le regard neuf de Jésus sur nous peut susciter comme réponse de notre part. Comme le dit saint Paul : Que Dieu par sa puissance vous donne d’accomplir tout le bien que vous désirez et qu’il rende active votre foi.

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