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"La joyeuse pauvreté des prêtres" I Homélie Jeudi Saint I p. Sébastien Dehorter I 14/04/22



Ce soir, c’est Jeudi Saint. Le lavement des pieds. Nous en comprenons bien la valeur d’exemple - c’est un exemple que je vous ai donné - pour inscrire dans l’Église une culture d’entraide mutuelle et de service. Mais nous pressentons aussi qu’il y a avantage ? Car si le lavement des pieds est uniquement un exemple à imiter comment peut-il servir de porte d’entrée à l’ensemble de la Passion et de la Résurrection ? A-t-on besoin de messe et de prêtres pour apprendre à servir ? Ne le fait-on pas déjà dans les familles et les écoles ?


En réalité, nous sommes face à des sacrements, des mystères, des gestes qui dans leur matérialité contiennent des réponses à des questions auxquelles nous ne savons pas répondre ! Des gestes qui nous dépassent mais qui ont le pouvoir de nous transformer pour nous conduire là où nous ne pouvons pas aller par nos propres forces. Voilà ce que je vous voudrais approfondir ce soir : en quoi le lavement des pieds, l’eucharistie et le sacerdoce s’éclairement-ils mutuellement ?


Premièrement, le lavement des pieds rappelle que l’eucharistie est un geste que Jésus pose à notre égard. Un geste qui engage son corps et notre corps. Jésus nous baigne, non pas avec l’eau d’un bassin, mais l’eau de la charité qui est sa propre vie. L’Eucharistie est le sacrement de l’Amour. Un amour extrême, qui va jusqu’au bout. Lorsque nous aimons, que voulons-nous faire, sinon briser notre propre cœur comme un flacon et offrir à l’autre ce que nous avons de plus précieux ? Eh bien, c’est exactement ce que Jésus fait pour nous.


Deuxièmement, ce n’est pas seulement un maître qui s’abaisse et rend un service d’esclave, c’est tout un Dieu qui se donne à toi, jusqu’à se réduire à n’être qu’un simple bout de pain. St Jean exprime cet abaissement à travers le détail des vêtements : Jésus dépose ses vêtements, puis les reprend. Dans le discours du Bon Pasteur, il a utilisé ces mêmes verbes au sujet de sa vie : J’ai le pouvoir de déposer [ma vie] et j’ai le pouvoir de la reprendre. L’eucharistie est donc un abaissement qui va au-delà de tout ce qu’humainement nous pouvons faire. Elle est une mort, une descente aux enfers. Oui, Jésus va jusque-là, au carrefour de la mort. Il se poste à ce « check-in point » où tout homme passera, car il veut rencontrer chacun, pour le regarder dans les yeux et lui ouvrir ses bras : « Vois, ce que je fais pour toi ! ». Ainsi, participer à l’eucharistie, c’est descendre dans la vérité nue de son existence, anticiper sa propre mort et sa résurrection, vivre de l’amour rédempteur.


L'amour est toujours un risque à prendre.

Troisièmement, l’eucharistie est un geste à reproduire : afin que vous fassiez comme j’ai fait pour vous. À l’exemple de Jésus, nous apprenons qu’aimer, c’est se placer en dessous de l’autre et, de cette manière, se rendre vulnérable. À chaque messe, Jésus prend le risque de s’offrir dans une petite hostie de pain. Il nous serait facile d’être indifférent, de le mépriser, de lui cracher dessus ou de le piétiner tout comme il aurait été facile pour Pierre d’enfoncer la tête de Jésus dans le bassin. Mais voilà, Jésus n’est pas Pilate. L’un s’est lavé les mains pour ne prendre aucun risque, l’autre nous lave les pieds au risque que nous le refusions. L’amour est toujours un risque à prendre ; ultimement, c’est se livrer soi-même : ceci est mon corps pour vous. De plus, vivre de l’eucharistie, ce n’est pas seulement l’imiter, c’est aussi - d’abord - la recevoir. Recevoir l’amour qui prend des risques pour moi, l’amour qui renouvelle ma propre capacité d’aimer, comme un ressort qui retend mon ressort intérieur et m’envoie vers les autres.


Demandons la grâce d’aimer l’eucharistie, de l’aimer davantage. Ce pourrait être la meilleure contribution de notre paroisse à l’Église de Belgique. Et peu à peu nous verrons que l’eucharistie apaise toutes nos angoisses existentielles. Au début de l’évangile, il a été dit que Jésus savait trois choses : (1) son heure est venue de passer de ce monde à son Père ; (2) le Père a tout remis entre ses mains ; (3) il est sorti de Dieu et qu’il va vers Dieu. Ce triple savoir de Jésus ne fait que souligner notre triple ignorance. (1) Quand viendra notre heure ? Nous l’ignorons tout en espérant le plus tard possible. (2) Quelle est l’étendue réelle de notre pouvoir en ce monde, qu’est-ce que le Père a remis entre nos mains ? Aucune idée, même si nous aimerions que cela soit ni trop grand (pas trop de responsabilités), ni trop petit (pour nous sentir suffisamment important). (3) D’où venons-nous et où allons-nous ?.. Jésus sait tout cela ; nous, nous l’ignorons. Et pourtant c’est comme s’il nous disait : « Vois, je te remets l’eucharistie. Reçois-la, vis-en pleinement et toutes ces questions seront pour toi comme résolues ». (1) En effet, vivre de l’eucharistie, c’est résoudre l’énigme de l’heure, car celui qui aime est déjà passé de ce monde à son Père. Pour lui, c’est Pâques à toute heure, mort et résurrection, mort à soi-même et entrée dans la vie. (2) Vivre de l’eucharistie, c’est exercer tout le pouvoir que nous avons en ce monde. L’homme eucharistique donne Jésus au monde : pouvons-nous faire quelque chose de plus ? N’est-il pas le Chemin, la Vérité et la Vie ? Le bon Pasteur ? La Porte des brebis ? Le plus beau des enfants des hommes ? Toute la joie du monde ?! (3) Vivre de l’eucharistie, c’est trouver la réponse à cette autre question : d’où est-ce que je viens et où est-ce que je vais ? Car c’est dans l’audace du don de soi jusqu’à l’extrême que nous découvrons qu’il y a toujours une main qui nous porte et qui nous accompagne. Oui, nous venons de plus loin que nous-mêmes et nous sommes destinés à plus grand.


Ce soir, frères et sœurs, entrons dans le mystère de l’Amour qui s’abaisse et qui se livre. C’est le Porche du Triduum Pascal. La grâce pour nous les prêtres, c’est qu’il nous est donné de méditer sur notre vocation. De même, il serait bon que, de temps en temps, des personnes mariées réfléchissent à ce que signifie le fait d’être marié. Ou que nous tous, nous contemplions le fait d’être des enfants de Dieu. D’ailleurs, que dirions-nous ?.. La « liberté des enfants » ? La « joie des époux » ? Et pour les prêtres ? Eh bien, je dirais, la joyeuse pauvreté des prêtres. Ce qui est touchant au sujet de Simon-Pierre, c’est qu’il ne comprend pas le geste que Jésus pose car il ne peut pas le comprendre. Qui en effet prétendrait avoir déjà tout éprouvé du mystère pascal ? (Ainsi, dit en passant : méfions-nous des donneurs de leçons à propos du sacerdoce).


Ensuite, après avoir dit ce que je fais, pour le moment tu ne le sais pas, Jésus a encore une parole étonnante : vous-mêmes, vous êtes purs. Pur de quoi ? J’aime y voir la pureté de l’ignorance, celle de celui qui, tout en ne comprenant pas, accorde sa confiance ? L’invitation au dessaisissement de soi, à une certaine forme de pauvreté. Le prêtre célèbre quelque chose qui le dépasse, qu’il sait ne pas vivre véritablement et qui pourtant exige de lui de s’y conformer toujours davantage. Vous le savez bien, plus nous portons quelque chose de grand, plus nous nous sentons petits, parfois écrasés. Il en est ainsi avec des talents que certains ont reçus, des enfants qui nous surprennent, des projets qui nous dépassent, des grâces imméritées. Que faire ? S’en glorifier (la tentation peut être grande) est la meilleure manière de tout détruire. Mais s’y refuser, c’est priver le monde de cette fameuse part que Jésus veut avoir avec nous et que le Père nous confie. Une seule solution s’offre alors : vivre le don reçu, dans la lumière du sacerdoce, comme un lavement des pieds, une eau qui coule, un peu humiliante toujours réjouissante. Une douce purification de la manière dont chacun est appelé à suivre le Christ. N’est-ce pas là tout le ministère des prêtres ? Ne pas chercher à obtenir davantage, ne pas se refuser non plus à ce que le Seigneur pourrait encore nous proposer. Plus tard, tu comprendras.


Ce soir, Jésus te lave les pieds. Peut-être te sens-tu lourd ou fatigué ? Ce soir, il veut que tu le suives plus légèrement. Ne nous y refusons pas.

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