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Noël | "Qu'avons-nous fait là ?" | P. Sébastien Dehorter | 24/12/2020




Jésus est né dans le monde de César, un monde pas tellement différent du nôtre : monde de pouvoir, de violence, de chiffres, de conformisme et de personnes déplacées. Aujourd’hui nous comptons les contaminés et les morts, autrefois César comptait ses sujets ; aujourd’hui notre vie est réglée par les communiqués ministériels, autrefois, les édits de l’empereur ; tandis que chacun allait se faire inscrire dans sa ville d’origine, chacun est intimé aujourd’hui de rester chez soi ; couché dans une mangeoire, le fils de Marie n’a pas trouvé de place dans la salle commune ; aujourd’hui, de nombreux malades passent des heures dans des couloirs froids et infestés car il n’y avait pas de place pour eux dans les hôpitaux.


Dans ce tableau assez sombre, je vous propose de regarder St Joseph, cet homme qui se met en route, qui agit modestement et silencieusement. En posant notre attention sur lui, nous découvrons qu’il n’est pas seul. Ils sont deux, car à ses côtés se tient Marie, son épouse ; ils sont même trois, car Marie est enceinte. Ainsi, Joseph dirige notre regard d’abord vers Marie puis vers son ventre arrondi, vers l’enfant qu’elle mettra au monde, avant de l’emmailloter et de le coucher dans une mangeoire.


Le bien est toujours possible

De ces gestes simples et silencieux, nous recevons déjà une précieuse lumière, celle qui affirme que quelles que soient les circonstances, un bien est toujours possible. Ce bien qui est à notre portée consiste à faire les choses avec soin et ordre, non par manie mais par amour, en ayant toujours à l’esprit celui ou celle pour qui nous agissons. Ne passons jamais à côté de cela. Lorsque la morosité ou la déprime nous guette, il est bon de revenir à cette humble lumière qui est le bien concret qui se trouve devant moi, et qui souvent vient à moi sous la forme de l’interpellation que m’adresse la fragilité du réel. Fête de lumière, Noël est donc aussi une fête du regard, une fête contemplative où nos yeux réapprennent à regarder le monde autour de nous, pour en percevoir les appels et agir en conséquence.


Ceux qui fréquentent la paroisse St-François se souviennent peut-être qu’à la fin de l’été passé nous avons célébrer l’enterrement de Marie Hendrickx, qui a vécu parmi nous quelques temps. Dans ses affaires, on a trouvé une prière qui exprime si bien cette première lumière de Noël. « Père d’amour, Dieu aimant / envoie ton Esprit de lucidité / afin que j’aperçoive sans hésitation / l’acte qui épanouit l’autre. / Fils d’amour, homme frère / que ta force me soutienne / pour que j’agisse / selon cette vue nouvelle / car j’ai faim de t’aimer à mon tour ».


Ce bien concret est déjà en lui-même une consolation. Mais il y a plus. Dans le contexte de l’évangile en effet, le geste posé par Joseph et Marie a également valeur de signe. Il fallait en effet que le Messie attendu naisse à Bethléem ; il fallait également que dès sa naissance on comprenne qu’il était venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon, et déjà en nourriture, pour la multitude. Ainsi, en dernière analyse, ce qui a conduit Joseph à Bethléem, ce n’est pas l’édit de César – contrairement à ce que les apparences pourraient laisser penser – la contrainte ou la fatalité. Non, c’est l’amour invincible du Seigneur de l’univers qui voulait nous donner ce double signe : celui d’un roi-berger qui, né à Bethléem, connaîtra chacune de ses brebis par son nom ; celui d’un homme livré qui, couché dans une mangeoire, répondra à la faim des hommes en leur livrant sa propre vie en nourriture.

L'incroyable providence de Dieu

Au final, ce qui nous était apparu en premier lieu comme un petit bien concret se révèle être à présent un bien beaucoup plus vaste : le geste posé par Marie et Joseph, de manière toute simple et naturelle, est en effet le signe qui sera donné par les anges eux-mêmes pour faire entrer les bergers dans la joie céleste de cette naissance. Ainsi, fête du regard attentionné, Noël est aussi la fête qui célèbre l’incroyable providence de Dieu, capable de se glisser dans le moindre interstice de l’amour quotidien.


Cela dit, le premier tableau de l’évangile se termine douloureusement. En effet, à propos du signe de la mangeoire il est précisé qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Voilà qui est tout de même étonnant : César cherche à compter tous ses sujets mais il n’est pas capable de donner une place à chacun. Cette année, cette note sombre résonne avec une question qui a couru un moment sur les réseaux sociaux et pour laquelle de nombreux experts furent interrogés : « fallait-il oui ou non fêter Noël ? » Comme si la question se posait ! Comme s’il y avait des conditions à mettre à Noël alors que Noël est la manifestation de l’amour inconditionnel de Dieu.


Mais peut-être que cette année certains diront qu’ils n’ont pas le cœur à cela, qu’ils ne sont pas prêts. Mais qui pourrait dire qu’il est prêt ? Quel couple oserait dire qu’à un certain moment ils ont été prêts à avoir des enfants ? En réalité, la vie n’est pas ainsi. Elle n’est pas un programme informatique dont on devrait d’abord bien préparer le code avant de le lancer et de le laisser se dérouler. Ce ne sont pas tant les parents qui apprennent la vie aux enfants, ce sont plutôt les enfants qui, lorsqu’ils arrivent, apprennent à leurs parents comment le devenir. Ultimement donc, ne pas fêter Noël ce serait refuser la vie que Dieu veut nous donner, cette vie qui toujours nous entraîne de l’avant et dont nous ne sommes pas la mesure !


Mais peut-être que nous pressentons que si nous célébrons véritablement Noël alors notre vie devrait changer et c’est souvent cela qui fait peur et dérange. Car on ne peut fêter Noël aujourd’hui et oublier Jésus demain, ce serait être infanticide à la manière d’Hérode. Car fêter Noël, c’est bien cela : accueillir le Christ Jésus comme le don que Dieu a fait aux hommes et laisser ce Christ grandir en nous jusqu’à ce que nous-mêmes atteignions la pleine stature de fils de Dieu.

Jésus, désormais, tu pourras compter sur moi

Je me souviens de la confidence d’un couple qui lorsqu’ils sont rentrés de la maternité après la naissance de leur premier enfant se sont dit, presqu’effrayés : « qu’avons-nous fait là ? » Au moins, ils avaient conscience de la grandeur de l’aventure dans laquelle ils s’étaient embarqués… Il serait sans doute heureux qu’en ce Noël 2020 où l’atmosphère est plutôt à la déprime nous ayons, nous aussi, conscience de la grandeur, voire de la folie, qu’implique la célébration sincère de Noël. Et ainsi, au terme des différents démarches et festivités que nous allons vivre dans les prochains jours, nous nous dirons comme malgré nous : « qu’avons-nous fait là ? » - non pas comme une démission devant la responsabilité engagée mais plutôt comme l’expression d’une juste crainte, face à la grandeur de la vie chrétienne et à l’audace de son espérance.


Fête du regard aimant, adhésion croyante à la providence de Dieu, Noël est encore une célébration de la vie, une fête qui affirme, humblement mais de manière décidée : « oui, Jésus, désormais, tu pourras compter sur moi ». Puissions-nous la célébrer ainsi ! Je terminerai par trois indications pratiques.

  1. Comment allons-nous « nous rendre à Bethléem » dans les prochains jours ? Quel temps de prière en famille, quelle participation à l’eucharistie, quel passage à l’église ?

  2. Comment allons-nous imiter concrètement saint Joseph, père aimant et attentif, gardien de la sainte famille ? De qui sommes-nous invités à prendre soin ?

  3. Quelle décision pourrais-je prendre quant à l’avenir ? Comment renouer un contact plus radical avec la vie de Dieu ? Quel signe de confiance pourrais-je lui offrir ?


*** JOYEUX NOËL ! ***

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